Quittée par la femme avec laquelle elle vit depuis 10 ans, Rafaëlle (Valéria Bruni Tedeschi) chute malencontreusement et se blesse le coude. Aux urgences, elle se lie avec Yann (Pio Marmaï), gilet jaune blessé à la jambe par un tir de CRS lors d'une manifestation qui dérape. Autour de ces deux éclopés hurlant, gesticulant, s'insultant, incapables de tenir en place, blessés plus encore au cœur qu'au corps, aides soignantes et infirmière s'activent, tandis que les patient attendent interminablement en salle d'attente surpeuplée ou errent désorientés dans des couloirs vides.
Voilà un film qui ne donne clairement pas envie de se retrouver un jour dans les urgences d'un hôpital (perspective qui ne tente personne évidemment mais qui fait froid dans le dos au sortir de cette séance de cinéma) mais qui paradoxalement rend admiratif du personnel hospitalier, notamment les "laissez pour compte" : les aides soignantes, les infirmières, les brancardiers, les vigiles.
Le titre la fracture est particulièrement bien choisi : fracture des corps (le coude pour l'une, la jambe pour l'autre), fracture du couple, fracture sociale. Le film aurait aussi pu s'appeler la rupture : rupture entre les êtres qui ne se comprennent plus, que ce soit dans le privé au sein d'un couple, dans le public entre les gens du peuple et ceux qui les gouvernent, dans les stéréotypes que l'on a les uns des autres.
Huis clos au sein des urgences saturées d'un hôpital public en souffrance, le film n'a rien du documentaire tant les deux protagonistes principaux sont hauts en couleur, extravertis et volubiles. La première partie du film tient presque du tragi-comique avec les gestes irréfléchis et les envolées dramatiques de Valéria Bruni Tedeschi ou les coups de gueule tonitruants de Pio Marmai. Cela devient particulièrement réjouissant lorsque les deux se télescopent et s'affrontent en grande pompe.
La seconde partie, en revanche, a des accents de Titanic, le drame prenant le dessus, avec ses mouvements de foule paniquée, ces mains qui tambourinent aux portes maintenues fermées, le plafond qui s'effondre, les gens qui suffoquent. L'hôpital semble prendre l'eau de toute part et menace de sombrer.
Quelques réserves : le tempo du film n'est pas toujours évident à suivre : comédie sur fond de crise de couple et de crise sociale au départ jusqu'à l'explosion qui vire au drame puis s'apaise avec un dénouement en demi teinte :
l'une sort réparée, l'autre brisé.
Deux scènes me paraissent superflues et presque grotesques dans le contexte :
la femme qui perd les eaux et semble sur le point d'accoucher immédiatement (pourquoi n'échappe-t-on jamais à la scène d'accouchement lorsque l'on se trouve dans un hôpital ? Cela parait ici complètement hors de propos) et la prise d'otage qui m'a paru en ajouter inutilement dans le drame. Un hôpital surchargé de patients dont on n'a pas le temps de s'occuper et qui manque se faire envahir par des manifestants ensanglantés et gazés poursuivis par des CRS, y avait pas besoin je pense d'ajouter la prise d'otage et la scène de la nana qui accouche sitôt qu'elle perd les eaux...
Points (très) positifs : l'interprétation (Valéria Bruni Tedeschi et Pio Marmaï bien sûr, mais aussi Marina Foïs et Aissatou Diallo Sagna) et le regard que la réalisatrice porte sur les gilets jaunes, ni encensés ni décriés, l'hôpital public, dernier rempart contre la violence et victime de la violence faute de moyens suffisants, et sur les gens en général dont elle parvient à faire sortir l'humanité brute auxquels ils se trouvent réduit dans la souffrance, qu'ils soient prostrés, revendicatifs ou proches de la folie. Même les CRS, sorte de machines à broyer, s'englobent dans cette humanité le temps d'une courte séquence.