La frontière de l'aube est aussi beau que son titre, ce qui n'est pas peu dire. C'est un film précieux, courageux, brillant comme un diamant brut, fascinant de beauté plastique. C'est un film comme on n'en fait plus, et c'est peut-être ce que certains lui reprochent. Il y a du Cocteau là-dedans (la dernière partie rappelle beaucoup Orphée), mais aussi du film muet (les ouvertures et fondus au noir arrondis), l'héritage de la Nouvelle Vague et des idéaux de 68 (discours poétique et politique révolutionnaires), quelque chose des films de l'âge d'or du cinéma américain aussi (Laura Smet, magnifiquement filmée, a ici la beauté magnétique d'une Ingrid Bergman). Bref, devant ce film on a parfois l'impression de voir le Cinéma tout entier et c'est une impression... très impressionnante justement.
Le point le plus fort du film est peut-être sa photographie, grâce au travail stupéfiant du chef opérateur Willy Lubtchansky : rarement un noir et blanc a été aussi intense, rarement les contrastes et la lumière ont été aussi puissants d'émotion, et certains plans sont formellement bouleversants de beauté.
Alors oui, l'extrême lenteur du film, son côté un peu "ampoulé", hors du temps (ici on ne s'envoie pas de textos, on s'écrit des lettres) et des genres, ses dialogues poétiques, son éclairage expressionniste peuvent rebuter, oui le rythme peut mettre le spectateur à l'épreuve et je ne dirai pas que ces deux heures m'ont semblé dix minutes. Mais "malgré" tout cela, La frontière de l'aube est sans aucun doute un film magnifique à bien des égards.