Ce titre de critique fait référence au contexte dans lequel le film est sorti en France, vers 1973 ou 74 , je ne sais plus trop, mais ce que je sais, c'est que les ados comme moi à l'époque, ressortaient de la salle avec l'envie de tout casser, de péter la gueule à n'importe quel importun dans la rue qui vous regarderait de travers, bref c'était le genre de film qui vous conditionnait totalement, et qui lança la vogue des arts martiaux, d'où le fameux disque de Carl Douglas sorti à la même époque, "Kung Fu Fighting" qui surfait sur cette vogue. C'est le premier film qui fit connaitre Bruce Lee en France, parce que c'est son énorme succès qui a permis au distributeur René Château (qui en avait l'exclusivité) de sortir ensuite Big Boss qui fut son premier film.
J'ai donc vu ce film des dizaines de fois au cours de mon existence, et je l'ai revu hier soir avec un immense plaisir, mais en l'analysant d'un oeil nouveau, car je l'avais vu jusqu'ici (comme ses autres films) uniquement pour le plaisir qu'il procure au premier degré. Il est clair que par rapport à Big Boss réalisé déjà par Lo Wei, l'ensemble est plus abouti, il y a un net progrès ; grâce à plus de moyens, la mise en scène est moins conventionnelle, la chorégraphie des combats est plus réussie, les scènes de combats sont plus spectaculaires, plus longues et plus violentes, il suffit de voir comment est filmé le combat dans le dojo où Bruce est face à une trentaine de mecs pour comprendre l'art du cadrage et la technique employée pour restituer la force de cette scène ; je me suis toujours demandé si ce combat n'était pas plus efficace et plus réussi que celui du Colisée face à Chuck Norris dans la Fureur du Dragon... rien que cette scène qui reste un morceau d'anthologie, garde une fascination et une puissance phénoménale ; Bruce y sort pour la première fois le nunchaku, cet outil de paysan servant à battre le riz, reconverti en arme redoutable pour qui sait la manier, et la dextérité avec laquelle le Petit Dragon s'en servait relève du prodige, ça donne toujours des frissons dans le dos de le voir dans cette grande scène avec ce nunchaku, accentué par les bruitages.
Si on sort purement des scènes de combat, on voit que le film est assez risible : il joue sur la rivalité des Chinois et des Japonais pendant la période de la Concession Internationale à Shanghaï, le scénario s'appuie donc sur une période douloureuse où la Chine était humiliée par les Nippons, symbolisée par la scène de la pancarte du parc "No dogs and Chinese allowed" que Bruce Lee brise en deux, bref c'est une histoire basique où Chinois et Japonais ne font rien d'autre que se foutre sur la gueule, mais c'est pas si mal exploité.
Ce qui est plus drôle, c'est la façon de se battre des différents protagonistes, celle des Japonais est vraiment risible, ils balancent des coups de pied n'importe comment, ont l'air lourd et massif, et se ruent la tête la première sur Bruce sachant qu'ils vont se prendre une dérouillée après l'avoir vu calmer tout un dojo. C'est là qu'on voit le degré assez minable d'efficacité des combattants ; seul Bruce a la classe, on voit que sa technique est très travaillée, les autres ressemblent à des amateurs, mais grâce à Bruce Lee, ses films appartiennent à une catégorie supérieure et ne se classent pas dans le tout venant des films asiatiques de l'époque, c'est un peu comme le western italien : il y avait Sergio Leone qui a donné un sens au genre, et ensuite il y avait les autres ; c'est donc pareil pour Bruce Lee.
C'est sans doute aussi pour ça qu'il ne s'entendait pas avec son réalisateur Lo Wei qui n'attachait pas une grande importance à la qualité des combats ; déjà, ce n'est pas Bruce Lee qui a réglé les combats, il ne le fera qu'avec son film suivant la Fureur du Dragon. Mais le grand atout de Bruce, c'est qu'il savait bouger devant une caméra, il savait rechercher les meilleurs angles, son placement était très sûr, et les cadrages en plans larges le mettaient en valeur, chose qu'on ne voit pas aujourd'hui dans les films de baston où les combats sont filmés de trop près de sorte qu'on ne voit rien. Les gros plans sur les yeux et les zooms valorisent également son personnage.
A ceux qui disent que Bruce Lee n'était pas un acteur, je rappelle qu'il avait quand même débuté à Hollywood dans des petits rôles et qu'il fut Kato dans la série le Frelon Vert, il savait donc jouer, mais il sera bien meilleur dans la Fureur du Dragon et Opération Dragon . Mais dans la Fureur de vaincre, il met en place ses tics, ses grimaces, ses regards et ses cris, tout un arsenal de comportement que l'on retrouvera par la suite ; ceci allié à sa formidable maîtrise des arts martiaux rend donc ce film aujourd'hui mythique, moins élaboré que la Fureur du Dragon en terme de mise en scène, mais le niveau est déjà haut par rapport aux autres films de série de la production asiatique. Le seul truc qui m'a gêné est le redoublage avec une voix pour Bruce moins virile et sans identité, je préférais nettement la VF des René Château Vidéo.