De La Garçonnière, je gardais l'image d'un film tout en équilibre subtil entre rire et émotion, avec des acteurs prodigieux et toutes les qualités habituelles de Billy Wilder.
J'avais oublié que le film est également une critique acerbe du monde de l'entreprise et que, à ce titre, il est toujours d'une actualité formidable.
Car c'est là que La Garçonnière tape dans le mille dès le début. Nous avons devant nous C. C. Baxter, l'archétype de l'employé moderne pressurisé par son entreprise. L'open space dans lequel il évolue le met en concurrence directe avec tous les autres employés, et la pression des supérieurs qui jouent aux maîtres chanteurs avec des promesses d'avancement est permanente. Il est l'employé corvéable à merci. Mais surtout, pire que tout : l'entreprise ne lui laisse aucune vie privée. Elle le poursuit jusque chez lui, l'atteignant au sein même de son logement, le cueillant dans son lit, le délogeant en pleine nuit. Bien avant l'invention des smartphones et d'internet, qui permet aux jeunes cadres dynamiques de travailler chez eux jusqu'à des heures indues sans récolter la moindre heure sup', Billy Wilder nous décrit un monde où la séparation entre public et privé est abolie. L'essence même des dictatures. Une sorte de 1984 où Big Brother serait remplacé par la hiérarchie d'une entreprise inhumaine comptant plus de 31 000 employés.
Au-delà même de cela, il semblerait que même l'amour soit soumis aux lois du marché et de l'entreprise. En effet, le patron se permet de changer régulièrement de maîtresse, se contentant de donnant un avancement à son ancienne relation avant de la plaquer (avec un billet de cent dollars?). Dans le monde doublement déshumanisé de la grande entreprise au sein de la grande ville, les relations sociales sont factices et soumises à de constantes pressions. Le monde extérieur fonctionne comme une entreprise.
Au milieu de tout cela, Baxter apparaît vite comme un marginal. Il est celui qui cherche de véritables relations humaines. Il faut l'entendre parler de Fran :
« Peut-être que c'est simplement une fille honnête, comme il y en a des millions.
_ Ah ! Vous croyez encore au Père Noël ! »
Alors oui, Baxter croit au Père Noël. En cela, on pourrait le rapprocher des personnages de Capra. Il est celui qui refuse la déshumanisation du monde. Celui pour qui les femmes ne sont pas interchangeables à merci. Il fait primer les sentiments. Il est humain.
Du coup, la conclusion du film est éloquente : pour vivre correctement, il faut sortir de cet univers où tout est marchandise. Baxter n'est plus dans la grande entreprise, Fran n'est plus avec le grand patron, du coup ils peuvent enfin commencer à vivre.
En revoyant La Garçonnière, j'ai été surpris des rapprochements que l'on peut y voir avec 7 Ans de réflexion. Finalement, The Apartment peut en être considéré comme la version douce-amère. Nous avons ici une description plutôt mélancolique de l'homo new-yorkanus, qui a la pudeur de dissimuler sa tristesse derrière un mince vernis d'humour. Comme les plus grands réalisateurs du genre, Billy Wilder a compris que les meilleures comédies sont celles qui se situent en équilibre le long de la mince frontière qui sépare rires et larmes. Avec une maîtrise rare, le cinéaste joue avec nos émotions. Prenons cette scène où, lors de la fête de Noël de l'entreprise, Baxter montre à Fran son chapeau melon, dont il est si fier. D'un côté, Baxter est très drôle. De l'autre, Fran est triste. Et la scène se joue entre les deux, jouant sur les deux tableaux à la fois, en un équilibre que de très rares cinéastes ont su trouver (Pagnol le faisait très bien également).
La grande différence avec 7 ans de réflexion, c'est que là où Marilyn faisait admirablement la ravissante idiote, Shirley McLaine incarne (surtout dans la seconde moitié du film) un personnage frêle, un petit animal tremblotant que l'on a envie de cajoler. Un personnage que Baxter s'évertue à voir avec les yeux de l'innocence, même s'il sait qu'elle est plus complexe que cela. Parce que La Garçonnière, c'est également un film qui traite du regard que l'on porte sur les personnes qui nous entourent, et sur la manière qu'a ce regard de façonner les autres. Au fond, n'est-ce pas parce que Baxter la regarde avec innocence que Fran retrouve son innocence perdue ?