Le prologue du film est on ne peut plus programmatique. En mouvement constant, il explore dans toute la latéralité possible une place et les gens qui s’y croisent, avant qu’un micro événement – la mort par arrêt cardiaque d’un touriste asiatique, sur une terrasse surplombant Rome – ne la ponctuent, mais en rien ne brise son rythme : les chants se poursuivent, les travellings aussi. Y succède une séquence de night-club sur une terrasse d’un appartement de grand standing : sous une musique abrutissante, les couleurs explosent, les corps se déhanchent, et les vieux, surtout les vieux, se déchaînent. Décatis, extatiques, désinhibés, sur le toit de leur ville.
C’est plastiquement fascinant comme le serait un clip d’un groupe classieux qui adopte le langage raffiné du spot publicitaire pour vous vendre de la dérision haut de gamme. C’est irritant par sa longueur, aussi.
Le récit, si tant est qu’on puisse en déceler un, nous mène au gré des errances nocturnes et mondaines du personnage principal, de ses fréquentations futiles dans tous les domaines, que ce soit les dramaturges, les prélats, les tenanciers de bordels ou les avatars de Mère Theresa. Dans une Rome totalement déserte, même de jour, glacée comme sur une brochure pour touriste. L’effet catalogue peut s’avérer fastidieux, surtout pour un film qui flirte avec les 2h30. Mais les décrochages visuels, les pauses saugrenues dans une conversation débridée pour des échappées insolites et poétiques surviennent et brisent ce qui pouvait virer au pensum de la satire sociale et mondaine, déjà fait avec brio par un maître qui plane sur tout le film, Fellini et sa Dolce Vita. La visite clandestine des grands palais est superbe quand, à mon goût, les recours à l’image de synthèse pour la girafe et les oiseaux sur la terrasse sont beaucoup plus discutables. Le regard de Toni Servillo sur son monde, avec la facilité de l’autodérision comme arme préventive contre les attaques dont il pourrait être la proie.
Assez décousu, très long, il faut choisir de nommer son agacement. Si l’on est partisan d’un réalisateur qui se prend indéniablement très au sérieux pour un sujet justement aussi futile, on dira que cette irritation est choisie et qu’elle donne à voir les humeurs cyclothymiques de l’oisif. Les détracteurs y trouveront une occasion de souligner à quel point Sorrentino se regarde filmer et enchaine les tableaux sans soucis de diluer la dynamique de son œuvre.
C’est bien là la malice majeure de l’œuvre : son rapport à l’art. S’il est fustigé la plupart du temps, à travers les parvenus et les escrocs (car, comme le dit le prestidigitateur, « Il y a un truc »), une séquence au moins trouble les perspectives. Lorsque la fillette se déchaine, à la demande de ses parents, sur ses pots de peinture, on ne peut se limiter à la portée satirique du propos. La violence de cette scène, le bruit de la toile qui se tend, souple comme une voile épaisse, le jaillissement de l’acrylique construisent une scène d’une embarrassante beauté plastique. En écho à cette ambivalence, le traitement du personnage de la « Sainte », cadavre en sursis grotesque un temps, dépositaire du sublime un autre, ou celui de l’artiste qui se photographie chaque jour depuis sa naissance.
Il n’en reste pas moins que ces séquences insolites et poétiques sont bien plus mémorable que certaines facilités scénaristiques, ébauches d’un conventionnel franchement dispensable : les amours du passé, la mort de certains protagonistes, la satire éculée sur le monde intellectuel ou du showbiz. Sorrentino, le cul entre deux chaises, hésite à franchir le pas vers un objet purement visuel et contemplatif, et c’est ce qui affadit un peu son film dont le propos est finalement de second ordre.