Lutte des classes et fraternité humaine

Le paradoxe de ce film, c'est qu'il est l'un des plus célèbres du cinéma français d'une certaine époque, et en même temps, j'ai l'impression (mais ça n'engage que moi) qu'il est méconnu des nouvelles générations et du grand public en général pour son côté trop moralisateur. A l'aube d'un nouveau conflit en 1937, Jean Renoir lançait un cri d'alarme humaniste, un appel à la fraternité humaine, et il le traduit de belle façon par cette amitié et ce respect mutuel que se portent deux belligérants, une amitié qui est plus forte que celle de 2 combattants d'un même pays, message clairement pacifiste formulé à travers cette chronique de la guerre de 14-18 par un réalisme sur la vérité des rapports humains.
La leçon profonde du film s'exprime justement par les rapports de ses personnages à l'intérieur d'une société fermée d'un camp de prisonniers. Le nationalisme au nom duquel on combat sépare moins les hommes que leurs différences de classe, cette notion de lutte des classes ainsi que le renversement des valeurs morales et patriotiques apparaissent nettement dans ce film contemporain du Front Populaire de 1936.
L'habileté de Renoir est d'avoir confié les rôles principaux à des figures emblématiques du cinéma de l'époque : la raideur de Rauffenstein est accentuée par le phrasé et surtout la minerve que porte Eric von Stroheim, qui par la même occasion, trouve là un de ses plus beaux rôles ; Gabin incarne Maréchal, qui correspond au Français moyen de 1937, un gars du peuple, bourru, râleur mais au coeur d'or et patriotique ; Dalio incarne Rosenthal, fils de banquier juif qui témoigne de l'assimilation réussie de la communauté juive au sein de la société française ; Fresnay quant à lui, incarne Boeldieu, qui symbolise une aristocratie en déliquescence et qui ne peut pas se reconnaitre dans un monde où l'honneur semble périmé. Comme il le fera dans la Règle du jeu, Renoir se livre donc à un jeu de massacre dont personne ne sort indemne.
Classé en 1958 par un jury de critiques à Bruxelles parmi les 12 meilleurs films du monde, la Grande illusion a connu une carrière triomphale dans tous les pays où il fut présenté, en véhiculant son message universel cumulant générosité, puissance émotionnelle, humanisme et solidarité, à travers des séquences célèbres et bouleversantes, telles la scène du géranium de Von Stroheim, ou celle où Fresnay court sur les remparts pour permettre une évasion... Un grand film.

A noter que des séquences importantes (dont celle de la fuite de Fresnay sur les remparts) furent tournées au château de Haut-Koenigsbourg en Alsace, ironie du sort qui veut que ce château fut rebâti par le kaiser Guillaume II ; lorsqu'on le visite aujourd'hui, on voit des photos à l'entrée en souvenir du film.

Ugly

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