Jean-Pierre Mocky n’a pas son pareil pour mettre en scène la vitesse d’une collection de quiproquos qui tendent à s’entremêler jusqu’à révéler la grande mascarade en toute chose. Avec La Grande Lessive(!), il atteint un point de non-retour et de non-sens où s’enchaînent les rencontres incongrues dans un couloir d’immeuble, où les policiers d’aujourd’hui deviennent les ramoneurs de demain, où l’Agrégé de Lettres se transforme en héraut d’une vaste coalition – elle compte trois acolytes, pas un de moins ! – menée à l’encontre de la télévision, preuve que le cinéma de Mocky a toujours su saisir dans la culture dont il est le contemporain les enjeux à venir.
Car le film est d’une étonnante modernité à l’heure où les campagnes de prévention à l’égard des nouvelles technologies se développent dans les établissements scolaires ; or, si le cinéaste pense la démarche de ses personnages principaux comme la fresque satirique d’un milieu bien-pensant dont la révolte renvoie, comme dans un miroir, le ridicule des autres milieux, elle lui permet surtout de revisiter le vaudeville par le prisme d’une énergie burlesque réjouissante. Voir le professeur Armand Saint Just grimper sur les toits de Paris à la recherche d’antennes à brouiller produit des images insolites et donc précieuses, de même que la tenue excentrique de Francis Blanche en jupe orange provoque l’hilarité.
Le film se change peu à peu en un album de bande-dessinée, et chaque scène y composerait une page de vignettes : l’appartement, le toit, l’école, l’église, la rue, le musée apparaissent comme des lieux topiques dans lesquels s’agitent des personnages typiques. Les groupes sont associés à une musique particulière, ce qui produit un comique de répétition et facilite l’immersion du spectateur au sein d’un microcosme déjanté pas si loin de la veine grotesque du cinéma de Bruno Dumont. S’il n’est pas exempt de défauts, La Grande Lessive (!) a le mérite de se construire sur un long crescendo rythmique qui entraîne ses protagonistes dans des péripéties amusantes, et de laisser Bourvil exprimer l’étendue de sa palette de comédien.