Ah enfin. C'était un peu LE classique du cinéma soviétique que je n'avais pas vu (il y en a plein d'autres bien sûr mais celui-là est vraiment très réputé). Et je ne suis pas nécessairement déçu de l'avoir regardé si tard parce que j'ai eu un recul particulier dessus. Rétrospectivement, et ça m'a paru flagrant, c'est une pierre fondatrice pas seulement du cinéma de Eisenstein (dont c'est le premier film) mais plus généralement du cinéma soviétique dans son ensemble, sorte de manifeste formel qui va influencer les générations futures. La Grève pose déjà des bases que reprendront un grand nombre de cinéastes russes plus tard, tant dans le découpage assez saccadé, la frontalité et la violence des images et l'idéalisme du fond. On se surprend ici et là à découvrir des plans préfigurant Soy Cuba, par exemple.

Quant au film lui-même, c'est un tour de force plutôt puissant qui imprime le style de Eisenstein, celui qui marquera aussi le Cuirassé Potemkine. Des images violentes, un montage précis, rapide et saccadé. La Grève est un film dynamique, qui ne semble s'arrêter de temps en temps que pour reprendre son souffle et repartir de plus belle. C'est aussi ce qui différencie Eis' de son contemporain le plus connu, Dziga Vertov. Le cinéma de Eis' et la Grève en témoigne très bien est plus fiévreux et violent que celui du chantre du ciné-oeil. On y voit des foules se presser, des hurlements que l'on devine sans le son, des émeutes désordonnées où l'on se bat et où l'on se tue. D'ailleurs, Vertov détestera la Grève reprochant à Eisenstein de faire un cinéma irréaliste, fictionnel et spectaculaire, contre le prolétariat. C'est un peu vrai mais Eisenstein s'en fout, il le dit lui-même, au ciné-oeil de Vertov il préfère son ciné-poing.

Et on peut objecter à Vertov que c'est l'idéalisme et la conviction de Eisenstein, sa croyance profonde dans la lutte contre l'oppression qui guide le film, et qui justifie sa violence et son aspect spectaculaire. La Grève et le Cuirassé Potemkine ne sont absolument pas des propagandes staliniennes ou bolcheviques, mais des représentations de l'idée de résistance contre une oppression qui n'a ici pas de nom. La rébellion de la Grève n'est jamais idéologique, elle répond à une nécessité concrète (la faim, l'injustice, les conditions désastreuses de travail). Rien à voir avec Alexandre Nevski ou Ivan le Terrible partie 1 qui, eux, sont de vraies propagandes à la gloire de Staline, le libérateur de la Grande Russie, conformes aux diktats narratifs et esthétiques du réalisme socialiste stalinien.

Et La Grève est donc un film poignant, en effet, frontal, violent, toutefois moins abouti à mes yeux que le Cuirassé Potemkine (que je dois revoir).
Nwazayte
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le 9 févr. 2014

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Nwazayte

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