On ne dira jamais assez combien la démarche de Andrei Tarkovski quand il réalise le Miroir est proche de celle des écrits de Marcel Proust. Ecrivain français et cinéaste russe ont tous les deux cherchés à utiliser le média pour pénétrer l'intimité et les secrets du Temps. Proust cherche à mettre des mots sur les sensations, Tarkovski des images.
Une mémoire ne revient pas par chapitres. Et il y a dans le Miroir cette volonté de recréer la mémoire et le Temps, l'espoir fécond et ferme que le cinéma peut lever le voile sur ce qui est invisible, sur ce qui est insaisissable. Certes, toute l'oeuvre de Andrei Tarkovski tend vers l'universalisme et c'est pourquoi elle peut toucher n'importe qui. On connaît l'adage tarkovskien : « Que celui qui le désire se regarde dans mes films comme dans un miroir, et il s’y verra. ». Mais il ne faut pas oublier que Tarkovski est un putain de slave, et en tant que slave, c'est aussi un idéaliste.
C'est pourquoi l'ambition du film est aussi démesurée : mêler passé et présent dans une même salve d'images mémorielles tantôt réelles tantôt fantasmées. Introspectif, le film de Tarkovski l'est assurément. L'idée initiale du film était d'ailleurs d'une simplicité déconcertante, lorsqu'on évoque Tarkovski : une série d'entretiens entre Andrei et sa mère. Et finalement, la fiction s'est immiscée dans le projet tarkovskien sans pour autant dénaturer le caractère profondément personnel de l'oeuvre.
Le dispositif du film est faussement complexe. Bien sûr, on peut s'amuser à analyser, à décrypter, en bons cartésiens que nous sommes. Mais, et même si cela sonne comme une banalité de le dire, le Miroir ne se comprend pas, il se ressent. Tout simplement. Pour peu de laisser son cerveau de côté, pour peu d'ouvrir réellement son coeur à ce que Andrei veut raconter, le Miroir devient le film le plus simple du monde. Il s'agit juste de se laisser bercer par sa structure purement poétique, ses beaux regards évocateurs, ses inquiétantes séquences oniriques, et son lyrisme russe, discret et authentique.
Retrouver le temps, retrouver la Vérité entre délires, rêves et réminiscences, tel est le projet, le credo et la belle idée dans laquelle le film s'épuise. Toute une mémoire à reconstruire, mettre des images sur des sensations fugaces et fuyantes.
Et reconstruire à travers la mémoire d'un homme l'Histoire d'un pays. Mais seulement en ce que celle-ci peut affecter l'individu. Parce que oui, le Miroir est un film individualiste, nombriliste diront les mauvaises langues. Certes. Mais, après tout, se livrer totalement au cinéma, soi, ses souvenirs, son intimité, n'est-ce pas la plus belle offrande qu'un cinéaste puisse faire à son spectateur ?