Episode IV
UN NOUVEL ESPOIR
C'est une époque de guerre
civile. A bord de vaisseaux
spatiaux opérant à partir
d'une base cachée, les
Rebelles ont remporté
leur première victoire sur
le maléfique Empire
Galactique.
Au cours de la bataille,
des espions Rebelles ont
réussi à dérober les plans
secrets de l'arme absolue
de l'Empire, l’Étoile
DE LA MORT, une station
spatiale blindée dotée d'un
armement assez puissant
pour annihiler une planète
toute entière.
Poursuivie par les sbires
sinistres de l'Empire, la
Princesse Leia file vers sa
base dans son vaisseau
cosmique, porteuse des
plans volés à l'ennemi qui
pourront sauver son
peuple et restaurer la
liberté dans la galaxie...
Au moment d'écrire ces quelques lignes, me vient à l'esprit cette question simple mais intimidante : qu'est-ce qu'un mythe ? Très synthétiquement, si on en croit ses différentes définitions mises bout à bout, le mythe pourrait être décrit comme un récit allégorique et fondateur d'une pratique sociale significative, éclairant les différents aspects fondamentaux de l'univers que la raison seule ne saurait expliquer. Pour être plus barbare, le mythe commencerait là où s'arrêterait la réalité, sans s'y substituer pour autant, l'agrémentant au contraire de sa spiritualité. C'est plus ou moins ce que semblait distinguer « l'homme sans âge » Mircea Eliade quand il disait que le mythe n'était qu'une « réalité culturelle, une histoire sacrée relatant un événement qui eut lieu dans le temps primordial, le fabuleux temps des commencements » et censée représenter cette « solution de continuité entre le monde primitif ou arriéré et l'Occident moderne » dont il fallait dorénavant nous attacher à « redécouvrir les sources spirituelles en nous-mêmes ». Le mythe ne serait ainsi rien d'autre que le symptôme le mieux maquillé de la condition humaine et de son angoisse devant le temps. Mais c'est Claude Lévi-Strauss qui résuma le mieux l'affaire, lui, l'autre « homme sans âge » qui y consacra une partie de sa vie et de son œuvre, quand il disait voir derrière les similitudes manifestes de tous les mythes du monde, « un jeu gratuit et une forme grossière de spéculation philosophique » dont l'intérêt résidait uniquement « dans l'histoire qui y était racontée », et le témoignage de l'existence réelle d'une montagne dont seul un versant, toujours le même, serait inlassablement éclairé. Un mythe se rapportant toujours à des événements passés avant la création du monde ou pendant les premiers âges, en tout cas il y a longtemps, sa valeur intrinsèque proviendrait alors de la structure permanente que formeraient ces mêmes évènements en se rapportant simultanément au passé, au présent et au futur. C'est ainsi qu'il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine...
D'un point de vue plus pratique, au-delà de ces explications verbeuses, qu'est ce qui fait de Star Wars un mythe, puisqu'on sait maintenant qu'il en est un au sens le plus théorique du terme ? La réponse, encore verbeuse je le crains, se trouve cette fois dans la définition du mythe de Gilbert Durand, injustement oublié, qui voyait dans ce dernier « un système dynamique de symboles, d'archétypes et de schèmes qui, sous l'impulsion d'un schème supérieur, tendrait à se composer en récit », un schème étant un ensemble de concepts permettant de se faire une image de la réalité en résumant ses éléments disparates à l'aide d'instruments fournis par la raison. Concrètement donc, Star Wars a aussi tout d'un mythe : représentation de la lutte entre le Bien et le Mal (côté Obscur versus côté Lumineux), mondes imaginaires (la Galaxie tout entière avec ses planètes et ses lunes caricaturales comme Tatooine la désertique, Coruscant la citadine, Mustafar l'infernale, Naboo la féérique, Geonosis la diabolique, Kamino l'océanique, Hoth la polaire, Dagobah la marécageuse, Bespin la nuageuse ou bien Endor la forestière), bestiaires merveilleux (wookies, jawas, tuskens, gungans, ewoks...), anges (jedi) et démons (sith)... Toutefois, il serait mal avisé et plutôt hasardeux de prendre cette définition au pied de la lettre et de passer sous silence, sous couvert du respect minutieux de la recette, l'essence, le sel même du mythe : la cohérence de sa cosmogonie. En effet, ce n'est pas la prolificité des ingrédients présents dans son assiette, ni la rigueur et le soin apportés à son dressage qui font d'elle une digne candidate à une étoile, mais bien la manière dont elle est assaisonnée et surtout celle dont son contenu s'accorde et se complète elle-même au sein d'une harmonie simple mais ambitieuse. De ce point de vue là encore, qu'il s'agisse de la nature mystique mais néanmoins palpable de la Force, de la philosophie stoïcienne de l'enseignement jedi, ou de la richesse démocratique et institutionnelle de l'Ancienne République Galactique, tout se tient dans un ensemble parfaitement clair et cohérent, mettant même à nu, comme tout bon mythe qui se respecte, les faiblesses politiques et spirituelles de notre société occidentale actuelle et passée.
La saga Star Wars se lit de deux manières différentes selon que nous la suivons dans l'ordre chronologique de sa sortie, (IV-V-VI-I-II-III), ou dans l'ordre chronologique de son histoire, (I à VI). Elle est déliée et explicative dans le premier cas, et nous raconte deux histoires différentes (celle du père et celle du fils), alors qu'elle est fluide et intuitive dans le second et nous raconte une seule et même histoire, la vie et la mort d'Anakin Skywalker. Personnellement, si je demeure intimement convaincu qu'il faut la découvrir de la première manière, ne serais-ce que pour revivre l'émotion des premiers spectateurs (qui n'avaient de toute façon pas le choix) et prendre la mesure des codes et de l'ampleur de l'univers déployé (je doute que le choc soit si puissant en commençant par la prélogie, dont la grande force réside essentiellement dans son pouvoir d'évocation de la trilogie originale, et notamment de l'identité de Dark Vador), je resterais pour l'éternité le fervent défenseur de la seconde manière, bien plus forte à mon sens. En effet, si les deux trilogies ne s'apportent l'une à l'autre guère plus que de simples explications narratives et quelques anecdotes techniques lorsque vue dans l'ordre chronologique de leur sortie, elles s'enrichissent en revanche mutuellement dans un cercle émotionnel bénéfique quand suivie dans le sens de l'histoire. On s'émouvra ainsi de découvrir la générosité et la naïveté touchante du jeune Anakin dans La Menace Fantôme, ou de voir se concrétiser son amour pour Padmé dans L'Attaque des Clones, alors qu'on tremblera à chacune de ses colères, à chacune de ses sautes d'humeurs dans La Revanche des Sith, sachant pertinemment dans quelle voie cela le mènera. Inversement c'est non sans joie et étonnement qu'on retrouvera, dès les premières minutes de l’Épisode IV, le R2-D2 menteur, coquin et caractériel qu'on avait quitté dans l'épisode précédent ; les deux films se suivent certes, mais il y a pourtant vingt-huit années qui les séparent, vingt-huit années qu'il faut remonter à contre-courant. C'est de la même manière, que nous serons tous pris d'un étrange sentiment mêlant la fierté et la mélancolie au moment revoir Obi-Wan et Yoda, vingt ans après leur exil respectif, avec qui on avait tant partagé, les joies comme les regrets, dans les trois films précédents. On aurait envie de leur serré la main, de leur donner l'accolade comme à de vieux amis perdus de vue depuis trop longtemps, de leur dire qu'on sait, qu'on était là avec eux, sur Coruscant, sur Kamino, sur Kashyyyk, qu'on se souvient de la couleur du sol du Conseil et du silence des travées sinistres du Sénat, qu'on connaissait Anakin et Padmé avant qu'ils ne s"éteingnent respectivement dans l'Obscurité et la mort, qu'on admirait Qui-Gon Jinn et Mace Windu... On aurait envie de dire à Luke et Leia qu'on avait connu leur mère, qu'on était avec elle lorsqu'elle fit la connaissance de leur père. On aurait envie de dire à l'impassible et impavide masque de Vador qu'on connaissait bien Anakin, qu'on était avec lui dans son module de course lorsqu'il s'affranchit, qu'on était à ses côtés sur Geonosis quand la guerre des Clones éclata et quand le Comte Dooku le vainquit, qu'on était derrière lui quand il avait donné à Padmé son premier baiser et qu'on était sur Naboo quand ils s'étaient mariés. On sait...
Mais eux ne savent pas. Les héros de la trilogie originale ne connaissent pas leur passé comme nous le connaissons, pas plus que ceux de la prélogie leur futur d'ailleurs. Mais ce qui apparaît comme quelque chose de parfaitement naturel dans le dernier cas, relève en revanche du mystère le plus insoluble dans le premier. Mais au lieu de la pénaliser, comme cela aurait dû être le cas, cet état de fait va au contraire apporter à cette trilogie originale un supplément de nostalgie, de mélancolie et d'onirisme qui, comme les tanins dans les meilleurs vins, la sublimeront. Cette amnésie apparente qui n'existe en réalité que dans nos esprits et qui nous accable de cette douce langueur propice à l'évasion n'en reste pas moins frustrante pour le spectateur, au même titre que la fatalité des héros de la prélogie. Si Luke, Leia, Ben et Vador semble flotter dans l'espace comme des fantômes à qui on aurait ôté les poids du passé, Anakin, Padmé, Yoda et Obi-Wan semblent, eux, écrasés au sol par le destin, cet immonde geôlier qui les contraint et les entraine inéluctablement, poids du sort entre les mains, vers un précipice dont ils ignorent encore l'existence. C'est dans cet envahissement des affects de chaque trilogie l'une dans l'autre que naît ces sentiments contraires et chimériques invasifs (le poids du passé de la prélogie conférant à la trilogie originale sa mélancolie et le poids du destin de la trilogie originale conférant à la prélogie sa fatalité) et que réside la grande force de cette saga, lorsque prise dans l'ordre chronologique de son histoire.
Cette mélancolie douce-amère, il n'y a que les grands mythes qui peuvent se targuer de nous la procurer, de nous l'offrir. Mais pas n'importe quel grand mythe. Ces hauts degrés de troubles et de passions suscités ne saurait être, d'après moi, et jusqu'à preuve du contraire, l’œuvre de mythes autre qu'antimodernes, c'est à dire ou futuristes ou traditionalistes. Ainsi, bien qu'ils eurent un succès des plus retentissants devant les auditoires grecs de l'Antiquité, les épopées d'Homère L'Iliade et L'Odyssée n'en restaient pas moins des récits mythologiques profondément ancrées dans leur réalité spirituelle et leur culture actuelle, donc contextuels. Donc forcément peu bouleversant sur le plan des émotions et de l'âme. C'est pourquoi je doute réellement que le dépaysement requis par tout processus mélancolique, qui est le cœur du pouvoir d'attraction des grands mythes, soit à même d'engendrer une quelconque brèche émotionnelle et passionnelle dans les mythes modernes (comprendre contemporain de l'époque de leur création). De même pour les grands mythes de la religion tels que l'Exode, le Déluge ou la Genèse, et ceux de la mythologie tels que Prométhée, Sisyphe ou Perséphone qui, outre leur utilité socialement admise, était une fois encore « dans l'air du temps », donc peu perturbateur des instances psychologique du quidam d'alors. Je m'aventure peut-être un peu loin, je suis même à peu près sûr d'être hors-piste, mais je dirais que les grands mythes modernes (anciens comme récents) trouveraient leurs fondements dans une culture contemporaine à leur création (donc peu encline à provoquer un oubli de soi), alors que les grands mythes antimodernes trouveraient finalement leurs bases dans une culture antérieure à leur création. Star Wars faisant appel à bon nombre de références d'un autre temps (chevaliers du Graal, samouraïs, divinité transcendante et immanente, école du Portique...), donc à une culture qui lui est antérieure, il constitue de se fait un stresseur supérieur suffisamment puissant pour pénétrer les émotions de ses spectateurs et les soumettre à sa force. Ce qui est alors vue comme une infamie pour les stoïciens et les jedi, s'avère être le Graal de tout demiurge : l'adhésion complète de sa victime à sa propre agression émotionnelle, via son abandon volontaire et sans condition à la passion. Si beaucoup de personnes malveillantes ont eu recours à ce stratagème pour embrigader les masses (toutes les dictatures s'y sont à vrai dire adonnées, soit en créant des mythes de toutes pièces à partir de cultures bien souvent ancestrales, voire occultes, soit en pervertissant des mythes déjà existant), il n'en reste pas moins un formidable outil de partage émotionnel à grande échelle lorsque mis entre de bonnes mains. Ce qui est précisément le cas chez George Lucas (à moins qu'il n'ait un plan à long terme) qui, en créant une mythologie d'une richesse et d'une complexité aussi démesurées que Star Wars accéda finalement, non sans quelques difficultés toutefois, à l'ultime degrés de perfectionnement du mythe : son indépendance, son auto-gestion. Et c'est ainsi que le créateur laissa à la population le soin de s'approprier sa création et qu'il l'envoya résonner dans l'éternité. Et c'est ainsi que Star Wars devint le plus grand mythe de l'Histoire du Cinéma.