C'est en plein nouvel Hollywood, dans un paysage dominé par le polar (Serpico, Dirty Harry, French Connection), le drame social (Taxi driver, Macadam Cowboy) et le thriller politique (Les hommes du président, Les trois jours du Condor), qu'éclata La Guerre des étoiles sur les écrans du monde entier. En 1977, un réalisateur confidentiel, déjà responsable de deux petits films remarqués (la SF dystopique de THX 1138 et la comédie adulescente American Graffiti), révolutionna à jamais l'histoire du grand écran en proposant un spectacle inédit, aux effets spéciaux révolutionnaires. Dans le sillage de la redéfinition du cinéma-spectacle imposée par son pote, le génial Spielberg (Jaws et Rencontres du troisième type), George Lucas défia à lui-seul le monde du 7ème art, en portant à bout de bras ce projet de space opera cinématographique en lequel personne ne croyait vraiment. Le genre de la SF étant alors considéré comme peu vendeur, c'est bien un miracle si le jeune cinéaste pu décrocher un financement de la Fox, bien aidé par le succès surprise d'American graffiti qui le propulsa déjà millionnaire à 30 ans. Se contentant d'un cachet minimal (il sera payé 175 000 dollars pour passer deux ans de sa vie à mettre en boite son Star Wars), Lucas négocia plus durement les droits de sa création en obtenant que sa propre société gère le budget alloué par le grand studio. Dur en affaire, comme son pote Coppola (qui l'aura entubé d'une bonne partie des droits d'American graffiti), Lucas réussit à garder le contrôle sur son film et, surtout, se réserva les droits exclusifs de suites potentielles et de tous les produits dérivés. A l'époque, bon nombre de pontes de la Fox ne croyaient pas en la viabilité du projet et cédèrent ainsi facilement à ses requêtes. Le concept-même de produits dérivés n'existant pas encore, Lucas se préparait alors à tout bouleverser en un seul film.


Il faut bien reconnaître ça à l'ami George. A une époque où le cinéma ne faisait plus rêver personne si ce n'est les enfants devant les productions Disney, le jeune cinéaste ambitionnait de rendre aux jeunes générations un espace mythologique renvoyant aux grandes sagas littéraires dont il s'était lui-même nourri durant sa jeunesse. Du Cycle de Mars à Flash Gordon en passant par Gulliver of Mars et surtout Le Seigneur des anneaux, Star Wars concentre à lui-seul tout un pan d'influences littéraires et porte la SF aventureuse au-delà des pages, sur grand écran. L'intrigue reste pourtant basique et assez manichéenne, inspirée en grande partie, dans ses grandes lignes, par les théories de l'anthropologue Joseph Campbell et son concept du monomythe. Particulièrement fasciné par le travail de Campbell, et quelque peu découragé par ses pannes d'inspirations (il lui fallut quatre ans et six traitements différents pour aboutir au scénario final de Star Wars), Lucas calquera alors son intrigue sur le concept du voyage du héros en faisant d'un jeune fermier de l'espace, un élu providentiel et futur libérateur de la Galaxie. Il puisera bon nombre d'éléments de son script aux archétypes de la fantasy, du film de pirates, de samouraïs et du western, en y ajoutant une dimension magique inédite, exprimée dans le seul concept de la Force. Cette énergie spirituelle censée relier tous les êtres vivants, et que seuls quelques élus semblent pouvoir manipuler, concentre bien sûr les notions de foi et de religion, de mythe ancestral et de mystère. Une idée a priori simple mais qui se trouvera au centre de toute la saga, justifiant à elle seule le développement d'une mythologie pour laquelle plusieurs générations de spectateurs se passionneront.


Mais comment emmener le public à croire en cet univers ? La richesse thématique de l'intrigue et ses différents éléments auraient pu rapidement perdre le spectateur si elle avait été mal racontée. D'où l'idée de Lucas de commencer La Guerre des étoiles in media res, par l'abordage d'un vaisseau de la république (les gentils) par un croiseur impérial (les vilains pirates). S'ensuit une courte fusillade dans les coursives du vaisseau, quelques lasers fluorescents échangés, une princesse enregistrant un message mystérieux et l'apparition d'un véritable archétype du mal, un chevalier noir commandant aux troupes de l'oppresseur et qui semble détenir un pouvoir étrange sur le commun des mortels. Le seigneur noir Darth Vader (Darth : contraction de Dark et de Sith) était né mais restait à ce moment-là une banale figure du mal, sans visage et sans identité, aussi ambigu qu'un Sauron mal luné. Il n'en fallait néanmoins pas plus pour attiser la curiosité du plus large public et lancer une intrigue picaresque à travers l'espace.


Pour mieux transporter le public dans son univers, Lucas s'inspire alors de la narration d'un de ses films de chevet, La Forteresse cachée d'Akira Kurosawa. Située en plein Japon féodal, l'intrigue de ce chambara était racontée du point de vue de deux personnages secondaires : deux paysans témoins du conflit opposant les samouraïs de deux maisons rivales. Star Wars prendra alors pour référents, les droïdes C3PO et R2D2, embarqués malgré eux dans une aventure qui les mènera de Tatooine à Yavin, à la suite d'un jeune héros, d'un cowboy charmeur de l'espace, de son équipier alien, d'une princesse pas trop en détresse et d'un vieux sage détenteur d'un savoir oublié. Une véritable Communauté de l'Anneau, composée d'interprètes (presque) tous méconnus, dont le succès du film propulsera les carrières. Payés au lance-pierre, Mark Hamill, Carrie Fisher et Harrison Ford se contenteront d'un cachet de 850 dollars la semaine pour 5 semaines de tournage. Quant aux deux vétérans Alec Guiness (l'inoubliable colonel Nicholson du film Le Pont de la rivière Kwaï) et Peter Cushing (star de la Hammer), ils négocieront bien entendu mieux leur salaire avec intérêts sur les recettes. Leur seule présence à l'affiche de cette production atypique suffit d'ailleurs à lui apporter plus de crédibilité aux yeux des producteurs. Tous deviendront les incarnations inoubliables de leurs personnages au risque de voir leur rôle leur coller définitivement à la peau.


Une autre raison du succès de Star Wars est son enchaînement de scènes mémorables. Les séquences cultes ne manquent pas dans ce premier épisode et gardent aujourd'hui une place bien particulière dans l'imaginaire collectif. L'entrée en scène de Solo dans la fameuse séquence de la Cantina (et cette éternelle question : qui de Greedo ou de lui a tiré le premier ?), l'attaque du Faucon millénium par les forces de l'Empire, la destruction d'Alderaan, le sauvetage de la princesse Leïa et la scène de la broyeuse, le duel Obi-Wan/Vador (et sa chorégraphie minimaliste). Le clou du spectacle reste néanmoins la bataille de Yavin, une véritable prouesse technique due au savoir-faire d'une équipe de magiciens SFX qui entreront dans la légende. Plongeant littéralement le spectateur dans les tranchées de l'Etoile Noire, la séquence révolutionna à jamais l'histoire des effets spéciaux par son montage dynamique (que l'on doit à Marcia Lucas, épouse de George) et sa mise en scène immersive, jetant le spectateur au coeur-même de la bataille, comme dans une immense attraction aux images futuristes. Un exploit technique déjà révolutionnaire en 1977 et que Lucas révisera inutilement vingt ans plus tard au gré d'une édition spéciale (de toute la première trilogie) aux ajouts numériques inutiles et d'ores-et-déjà périmés.


C'est bien cet alignement de scènes inoubliables, relevées par une somptueuse direction artistique, qui propulsa Star Wars dans le coeur de toute une génération de fans dès 1977. La musique de John Williams, légendaire, résonne encore dans toutes les mémoires et ses différents thèmes (dont le Skywalker theme) participèrent pour beaucoup au succès du film. Quant au formidable travail de Ben Burtt sur les bruitages (dont les rugissements de vaisseaux et le fameux son du sabre laser), il se verra récompensé d'une statuette bien méritée aux oscars, parmi six autres récompenses.
En somme, Star Wars n'est pas l'oeuvre d'un seul homme mais le fruit du travail de toute une équipe d'artistes et de techniciens talentueux oeuvrant ensemble sur un projet commun, porté à bout de bras par un jeune cinéaste dont la vision révolutionnera à jamais la conception-même du cinéma-spectacle. Le succès de cette Guerre des étoiles appellera alors une suite dont les accents dramatiques et les perspectives narratives transformeront le phénomène en véritable mythe cinématographique.

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le 8 avr. 2020

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Buddy_Noone

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