Tout a été presque dit sur ce film polysémique, film monde, jouant sur le macrocosme et le microcosme de l'Homme. Je voudrais ici m'attarder sur un geste simple, une fermeture de porte, et comment le cinéaste de Sugarland Express parvient avec sa cinégénie d'octroyer à cette action une dimension purement cinématographique.
Revenons d'abord sur le périple de la famille de Ray Ferrier (Tom Cruise) qui continue - après avoir quitté sa maison - à la demeure de son ex-femme, où Ferrier espère confier ses enfants à quelqu'un de plus compétent. Malencontreusement, il n'en est rien, la demeure étant vide. Par précaution, ces personnages décident de passer la nuit dans la cave de cette maison. Ils subissent pendant cette même nuit une attaque extérieure. Avant qu'elle ne devienne physique, elle est d'abord audible avec un bruit extérieur – celui d'un avion s'écrasant – fluctuant vers l'assourdissement. L’agression vers l'intérieur de la maison se manifeste par deux inserts sur des soupiraux vitrés, rappelons que dans La Guerre des mondes les surfaces vitrées symbolisent l'unité familiale. Ceux-ci ne résistent pas au choc, se brisant et signifiant la venue d'une menace pour l'intégrité familiale. Les protagonistes se réfugient en conséquence dans une pièce annexe à la cave. Lieu non vitré, aucune chance pour qu'un danger extérieur ne touche cette famille.
Après leur entrée dans cette pièce, on perçoit néanmoins un fragment d'explosion provoquant des flammes. Ces dernières semblent s'être matérialisées par elles-mêmes, comme pour donner corps à cette menace. Pour la contrecarrer, Ferrier doit surmonter cette épreuve du feu s'il veut protéger sa famille. Le sur-découpage est utilisé de telle sorte qu'il appuie la symbolique de ce geste de fermeture de porte par Ferrier. Ce court instant (environ quatre secondes) apprécie la succession de cinq plans. Ils montrent Ferrier agripper la poignée pour fermer cette porte, tandis que les flammes tendent à pénétrer l'intérieur. Le montage étire la durée de cette action en reprenant le geste de Ferrier quelques micro-instants avant la fin de celui-ci au plan précédent. D'une part, ce jeu sur le temps octroie un plus grand impact émotionnel à l'acte de Ferrier, celui-ci devenant un véritable acte de bravoure interminable, et d'autre part, les angles des cadres devenant de plus en plus serrés sur la poignée, donnent une importance tout autre à cet objet devenu barrière protectrice pour sa famille.
Spielberg signifie avec une simple action, par le biais du sur-découpage (qu'il utilise très rarement dans son cinéma, voir la séquence du passage à niveau dans Duel pour l'autre exemple significatif de sa filmographie) et le jeu d'échelle sur la poignée, comment Ferrier devra à chaque instant se dépasser s'il veut garantir la sauvegarde de la cellule familiale. Suite à l'accomplissement de cette tâche, un renouveau positif paraît se profiler pour Ferrier et ses enfants par la présence d'un fondu en blanc. Il n'en sera rien.