Dernier et meilleur des trois films mettant en vedette Danny DeVito, Michael Douglas et Kathleen Turner, après A la poursuite du diamant vert et sa suite Le Diamant du Nil. C'est la réalisation la plus connue de Danny DeVito, individu généralement plutôt associé à ses performances d'acteur ou d'humoriste. Sa Guerre des Rose montre le combat haineux opposant Oliver à Barbara. Après que la connivence ait foutu le camp ce couple richissime se dispute la seule chose les unissant encore : la luxueuse demeure qui est le fruit de leurs efforts.
Le film fonctionne de façon assez spéciale. Dans un premier temps surtout, Danny DeVito construit une trame pleine de digressions sans que le propos ne s'éparpille ; tout s'empile avec fluidité. La façon de l'alimenter est plus incertaine. Les vingt années précédant la guerre ouverte sont diffusées en accéléré, sans que de grands moments ne se dégagent. On ne peut accuser le film d'être décousu ou de manquer de contenu ; mais alors qu'il cherche ouvertement à être jouissif et percutant, il s'enferme bien souvent dans une demi-mesure bizarre. Il lorgne vers la 'comédie noire' tout en gardant un pied dans un registre plus gentillet ; il tend vers une appréciation relativement spirituelle des événements (soutenue par le narrateur) et puis s'engouffre dans l'outrance tout en coupant rapidement le délire.
C'est le contre-coup de l'élagage d'une version initiale durant trois heures, mais aussi le reflet d'une ambiguité stylistique. La Guerre des Rose évoque ces comédies excentriques et morbides des années 1980-1990, telles La Mort vous va si bien ou Beetlejuice ; l'oeuvre supervisée par Danny DeVito est bien plus adulte et ambitieuse thématiquement, mais son dynamisme et finalement son génie sont davantage entravés, voir auto-censurés. Néanmoins, sitôt que la guerre financière est déclarée, les coups cessent de se perdre. Un certain sens des finalités permet de dissiper le flou du film et celui du couple. Kathleen Turner a le beau rôle ; pas celui de la bonne personne, mais le plus passionnant.
Dramatique, crue et égocentrique, elle enchaîne les remarques 'choc' et répand ses états d'âmes en toute impunité. Sans ses simagrées le triste équilibre ne serait jamais rompu, il n'y aurait que silence et moisissures. Bien qu'il soit la cible de ses excès, Douglas/Oliver est rendu encore moins sympathique. Discrètement blasé, plus simple et pragmatique, lui ne s'égare pas ; mais c'est à un niveau plus profond qu'il plombe son couple. Elle lui doit tout, le luxe, le standing, les premiers émois sexuels : mais les étreintes d'Olivier sont étouffantes et un jour son égoïsme, son besoin de stabilité et de respectabilité ne sont plus supportables. Le problème d'Oliver et Barbara c'est qu'ils sortent d'une histoire, délectable d'abord, raisonnablement heureuse ensuite, pourvoyant aux nécessités finalement ; ils devraient enchaîner mais ils ne le peuvent pas.
Ce n'est pas qu'ils s'aiment encore au fond ni qu'ils aient toujours besoin de l'autre ; c'est plutôt que les sales manies vous poursuivent tant que vous ne les avez pas purgées. Il aurait peut-être mieux valu pour ces deux-là qu'ils n'aboutissent jamais, ni en amour ni en affaires, le temps d'apprendre la sagesse ; au lieu de ça, la victoire financière et sociale en poche, ils n'ont plus qu'à narcotiser, gueuler, puis finalement se déchirer. La Guerre des Rose n'est pas très fin pour autant, bien au contraire, il combine une puissante malice avec une certaine bassesse ; il va dans la vulgarité, sans foncer et avec philosophie. C'est une espèce de Qui a peur de Virginia Woolf futile, d'une agressivité extrême quoique mordant parfois dans le vide ; une version bourgeoise et biturée d'Une femme sous influence.
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