Nous ne vieillirons pas tout court.

Après l’enfance nue, les amours de jeunesse et le couple adulte, le regard de Pialat se pose sur la maladie, l’agonie et la mort.
Il est intéressant de voir la similitude de sujet avec Amour de Haneke, et, surtout, la différence de traitement. A l’appartement parisien répond la province, au couple cloitré et fusionnel répond les parents liés dans une histoire délitée, à laquelle s’ajoute le rôle du fils, Léotard, qui répète les errements conjugaux du père avec sa jeune épouse, Nathalie Baye.
Toujours aussi radicalement opposée à toute sublimation, la caméra fixe, en longs plans-séquence, le quotidien miné par la mourante, finalement au second plan. La vie se poursuit malgré elle, avec ses petites mesquineries et son affligeante banalité, ces non lieux cinématographiques où se niche le génie de Pialat. L’Auvergne en 74 n’a rien à offrir d’exotique, pas plus que les amourettes du fils ou les pelotages du père.
Une fois encore, si le spectateur est saisi, c’est par l’authenticité frappante de tout le film : filmant comme personne une scène d’épluchage avec du Mozart à la radio, des brèves de comptoir ou la maladresse des conversations au repas d’enterrement, il dit tout de nos souvenirs d’enfance, il dit tout de notre banalité à venir et de la misère de nos existences.
L’un des derniers plans, bouleversant, est celui du départ de la ville des parents. La caméra embarquée dans la voiture, sur la lunette arrière, film en travelling la maison qui défile et à laquelle va succéder la rue, les carrefours, jusqu’à la sortie de la ville, en son direct, avec les à-coups du trajet. Lentement s’engloutit le passé, lentement s’amoncellent les strates qui tentent vainement de couvrir la béance qu’on laisse au loin et qui, pourtant, nous attend au bout de la route sur laquelle on se précipite.

http://www.senscritique.com/liste/Top_Maurice_Pialat/340377
Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Auteur français, Psychologique, Fuite du temps, Famille et Drame

Créée

le 5 sept. 2013

Modifiée

le 17 juin 2014

Critique lue 1.8K fois

32 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

32
1

D'autres avis sur La Gueule ouverte

La Gueule ouverte
Plume231
5

Tandis qu'elle agonise !

Quand un film s'intitule La Gueule ouverte et que son réalisateur s'appelle Maurice Pialat, il faut bien se douter que cela ne va pas être la fête du slip. Et quand, pratiquement au début du film, le...

le 3 juin 2022

19 j'aime

5

La Gueule ouverte
-Thomas-
8

La mort à nue

Pialat décompose l’agonie invisible d’une mère et d’une femme en brossant surtout le portrait de son fils (Philippe Léotard) entouré de sa petite-amie (Nathalie Baye) et de son père (Hubert...

le 28 août 2021

9 j'aime

3

La Gueule ouverte
TarkovskiNautique
10

"C'est fini"

Au fond, je n'ai pas l'impression qu'on filme souvent vraiment la mort au cinéma : on l'utilise, on la représente, on parle du deuil, mais qu'on filme le processus même de mort comme Pialat le...

le 31 mars 2020

8 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

716 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53