Beaucoup ont comparé ce film - à juste titre d'ailleurs - à True Detective. Pour ma part, il m'a surtout fait penser au superbe polar de Bertrand Tavernier, Dans la Brume Électrique, dont l'intrigue se déroule au cœur du bayou en Louisiane. Même façon de jouer avec les éléments humains et naturels du décor, même plaisir de composer avec la dimension fantastique des lieux, même besoin enfin de convoquer les secrets du passé : crimes racistes enfouis dans les recoins du bayou dans le film de Tavernier, reliquat du franquisme dans les vases du Guadalquivir. Certes les deux flics sont intéressants - sorte de Dupont/Dupond austères à la mode True Detective - et toute la galerie de personnages secondaires n'est pas mal non plus, mais la figure centrale de La Isla Minima reste avant tout ce paysage incroyablement bien filmé et photographié des marais de l'Andalousie : la géométrie labyrinthique de ses routes, chemins, et canaux, la faune - plus inquiétante quand il s'agit des hommes aux activités troubles que des oiseaux sereins dans ce décor désolé -, enfin des couleurs, essentiellement rendues par des vues du ciel à commencer par celles d'un splendide générique.
Côté mise en scène, elle est à la hauteur du projet, alternant le temps de l'enquête - que l'on suit avec intérêt - et les moments plus intimistes consacrés aux deux flics et plus particulièrement à Juan, dont l'efficacité musclée sur le terrain s'oppose à une part d'ombre, à une souffrance secrète autant liée à une santé défaillante qu'à un lourd passé acquis à la cause franquiste.
Seul bémol, la résolution de l'affaire criminelle, quoique bien menée, semble décevante. En effet, on souhaiterait voire le puzzle terminé et l'ensemble bouclé (au propre comme au figuré). Mais tel n'est pas le parti pris du réalisateur qui nous laisse avec un certain nombre de questions en suspens : ainsi, qu'en est-il de l'homme au chapeau ? et de l'homme (des hommes?) non reconnu(s) sur les photos ? Quel rôle détenait réellement le tueur ?
Il faut croire que cette histoire ne pouvait se terminer "comme au cinéma" ; les forces du passé étant encore trop présentes. Les toutes dernières minutes du film - le bref échange avec le journaliste - font passer un goût amer : Pedro est certes un héros honoré par sa hiérarchie et par les médias mais au final la question se pose : n'aurait-il pêché que les petits poissons ? Et les commanditaires - l'homme au chapeau, le reste d'une mafia qu'en sent bien présente - passés à travers des mailles du filet ? Le regard désenchanté de Pedro -par opposition avec la légèreté de son collègue - et les mots du journaliste, sonnent ainsi comme une douloureuse prise de conscience.
Un film réussi.