Vu en AVP le 31 mars 2025 au cinéma Lumière Terreaux sortie nationale le 9 avril 2025.


"Il était une fois" … la formule consacrée qui inaugure nombre de contes de notre enfance, ne doit pas nous faire oublier que ces contes, qui dans l'inconscient collectif sont devenus des histoires de princesses, de magie et de fins heureuses destinées à appeler de doux rêves veillant le sommeil de nos enfants, étaient à l'origine des histoires très sombres. Des récits initiatiques où ogres, grands méchants loups et autres forêts interdites servaient tant à dépeindre la cruauté du monde qu'à en alerter sur ses dangers. Sans oublier pour certains d'entre eux un fort symbolisme sexuel qui en faisaient des divertissements grivois en vogue dans les salons. Si vous vous demandez d'où provient l'expression "avoir vu le loup" pour exprimer qu'une jeune fille a perdu sa virginité, lisez la version originale du Petit Chaperon Rouge de Perrault et adieu votre innocence. Pas question ici de cet aspect, mais les attributs du conte comme supports à décrire un monde hostile sont présents.


Ainsi Karolina, jeune femme luttant pour sa survie dans une ville de Copenhague, qui bien que relativement épargnée par la grande guerre qui ensanglante et ruine l'Europe depuis quatre longues années, semble poursuivie par le malheur. Expulsée de chez elle parce qu'en retard sur ses loyers, contrainte de se loger dans un taudis sous la menace permanente des règles rigides imposées par sa propriétaire. Ouvrière dans une usine de textile, elle y côtoie autant les brimades de ses supérieurs, que les rares marques de soutiens données par celles avec qui elle partage la misère d'une vie vouée à ne pas espérer autre chose que survivre un jour de plus. Pourtant une lueur au fond du tunnel s'incarne dans son directeur qui entame avec elle une relation, qui la fera tomber enceinte et le prince charmant qu'il est à ce moment, promet mariage et avantages liés à son rang, mais une belle mère digne des plus grandes figures odieuses des histoires pour veillées, sapera en une rencontre ses rêves et le prince de se révéler, lâche.


Sa décision est prise, elle ne peut garder l'enfant et tentera un avortement, utilisant pour cela l'aiguille du titre et choisira comme lieu pour commettre son forfait, car pas d'IVG à cette époque, les bains publics. Elle y fait la rencontre de Dagmar qui la persuade d'une autre solution : mener sa grossesse à termes, puis lui confier l'enfant pour qui elle assure pouvoir trouver une famille aimante, une famille de docteurs ou d'avocats, qui ont "les moyens d'être altruistes". Cette phrase soulignant la violence d'une pauvreté telle que même l'empathie est un luxe qu'on ne peut se permettre. Karolina étant malgré toutes les épreuves qu'elle subit une femme qu'on a du mal à aimer, ses réactions sont brutales, elles sont les conséquences d'un contexte de loi du plus fort, même son physique, posture, gestuelle, visage sec, revêche, sont dictés par la nécessité. Dagmar qu'on revoit une fois la jeune femme délivrée du fruit de ses amours passagères apparait comme plus douce, plus gironde et dans sa boutique de friandises paravent à ses activités d'agence d'adoption clandestine, elle fait alors figure pour Karolina et bien d'autres avant elle de bonne marraine. Bonne marraine vraiment ? Il vous appartiendra de le découvrir en salle.


Le film, sans se départir d'une vraie identité, n'hésite pas à dialoguer avec des esthétiques issues de cinéastes comme Carl Theodor Dreyer ou Frantisek Vlacil, n'hésite pas non plus à référencer "La Liste de Schindler" de Steven Spielberg pour sa photographie et son noir et blanc ou bien les frères Lumière qui sont sans discussion possible les tuteurs à l'œuvre dans une scène de sortie d'usine. Lars von TRIER pourra aussi être mentionné comme source d'inspiration dans son application à maltraiter son personnage. Jouant aussi à des endroits précis, la carte de la distorsion du réel pour une touche apportant les nuances du doute vécu par la jeune femme.


Toutefois, en dépit d'une histoire forte, d'une mise en scène ouvragée, je ne suis pas totalement convaincu par le résultat final. Je ne suis pas tout à fait certain de savoir si c'est en raison d'une âpreté de l'univers qu'on me présente qui pousse parfois vers un misérabilisme un peu vulgaire, si c'est parce qu'à aucun moment je n'ai ressenti d'attachement pour les personnages, m'empêchant dès lors de vibrer ou d'être ému par leurs drames, si c'est la promesse jamais honorée de plans graphiques qui justifieraient son interdiction aux moins de 12 ans ou encore si c'est parce que finalement on comprend relativement vite de quoi il en retourne et que là se cache la plus grande faiblesse du film, son montage. Un montage qui étire exagérément l'arrivée la résolution, d'un dernier acte attendu et voudrait fait mystère d'une issue qu'on sait trop tôt.

Le point qui lui permet de ne pas rester à la moyenne mais de la dépasser étant acquis grâce à sa bande originale, une musique électronique, abstraite, sombre, rugueuse, hypnotique et lente qui m'a beaucoup plu et que je décrirai comme du Trent REZNOR sous Kétamine ou valium.

Créée

le 1 avr. 2025

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