Rodrigo SOROGOYEN m'avait déjà fortement impressionné avec ses deux premiers longs métrages Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2017) et les échos que j'ai eu du précédent sorti avant celui-ci me donnent envie de découvrir ce Madre (2019).
Si je devais définir ce thriller rural en un mot, ce serait sans hésiter tension, dès la séquence d'ouverture qui met en scène dans un ralenti qu'on croirait sorti d'un Lars von TRIER le réalisateur espagnol installe une tension qui ne faiblira pas, bien au contraire jusqu'à la fin du métrage. Cette séquence s'interrompt pour laisser place à une scène de dialogue, qui elle aussi rajoute à l'ambiance tendue, dès lors le spectateur est happé et le film gagne son premier combat, celui d'agripper son public, cela peut paraitre anecdotique, mais quand on parle de thriller, c'est une nécessité absolue qui permettra ensuite au film de se dérouler sans avoir à continuellement tenter de rattraper le dit public avec des artifices par trop grossiers, laissant toute latitude à la finesse du scénario de s'exprimer pleinement.
Un couple de français s'est installé dans un petit village de Galice, afin d'y cultiver la terre en utilisant des techniques liées à l'agriculture bio tout en parallèle remettant en état des vieilles maisons de façon bénévole dans l'objectif avoué de repeupler le village qui subit la désertification, qui est le lot de beaucoup de villages ruraux désertés par ses jeunes. On comprend très vite qu'un choix fait par eux aux débuts de leur installation a crée un climat de malaise entre eux et leurs voisins, une opposition qui n'aura de cesse d'envenimer leurs relations, jusqu'au point de non retour, jusqu'au drame qu'on pressent et qui ne manquera pas d'advenir.
Le sujet de la discorde étant l'installation d'éoliennes, le couple de français ayant refusé de signer l'accord en raisons d'arguments qui sont totalement recevables, mais qui donnent aux voisins, deux frères natifs du village, n'ayant pas les mêmes bagages culturels l'impression qu'on les a pris pour des arriérés, et qu'on leur a volé une rentrée d'argent conséquente ce qu'ils n'acceptent pas.
Rodrigo Sorogoyen, grâce à un scénario d'une finesse et d'une intelligence rare, évite l'écueil qui aurait été d'opposer deux visions en privilégiant l'une ou l'autre des positions, à savoir le néorural diplômé, venu de la ville avec ses idées préconçues et ses théories new age, face aux rustres paysans incapables d'évoluer or il n'en est rien, les deux parties sont présentées avec la même diligence, et d'un côté comme de l'autre les arguments sont recevables et les attitudes déplorables, de ce fait la tension, une fois de plus, ne peut qu'augmenter et conduire à l'inéluctable.
L'ensemble est servi par des acteurs aux sommets de leur art, les deux acteurs espagnols qui incarnent les deux frères sont parfaits, Denis MÉNOCHET bouffe l'écran mais c'est la prestation hallucinante de Marina FOÏS qui m'a le plus impressionnée. Son évolution au fur et à mesure où le film avance m'a laissé sans voix et prouve s'il en était besoin, que quand elle est bien dirigée et castée elle fait partie indubitablement de nos plus grandes actrices actuelle. Un petit bémol pour l'actrice qui joue la fille du couple français, qui m'a paru en deçà au regard des prestations des autres comédiens.
La mise en scène est brillante, à la fois emplie d'un classicisme obligé quand on parle de thriller et d'une inventivité d'orfèvre si l'on veut réinventer le genre ou a minima y apposer sa patte. Une mention spéciale à la photographie, la lumière si particulière de cette région d'Espagne que je connais bien est parfaitement rendue à l'écran.
Du début à la fin le film est pour moi une réussite totale et j'ai passé un excellent moment.