Alors que jusqu'ici David LYNCH n'avait réalisé que quelques courts métrages expérimentaux et un premier long métrage Eraserhead (1976) qui le classaient parmi l'avant garde artistique et lui donnaient un statut d'artiste iconoclaste, c'est pourtant en décelant toute la poésie et le talent immense du cinéaste, particulièrement dans sa gestion des noirs et blancs et les émotions retenues, que Mel BROOKS lui confie l'adaptation du livre du docteur Treves à propos de son patient John Merrick, atteint de graves difformités congénitales.
Le film produit par Lynch, s'il garde les deux principaux protagonistes, s'éloigne en revanche de sa narration et de son récit pour nous entrainer dans une oeuvre plus personnelle et qui sous un vernis de réalisation plus académique, mais non moins maitrisée et passionnante, que ses autres métrages, nous plonge dans les tréfonds de l'âme humaine.
Elephant man, le surnom qu'on donne à Merrick est une attraction de foire, un esclave moderne, condamné à s'exhiber tel un phénomène, sous la coupe et l'autorité abusive et violente de celui qui l'exploite en lui rappelant bien qu'il est son seul salut mais à qui il refuse toute humanité, le traitant comme un animal qui lui rapporte.
Avant de nous dévoiler la créature, le cinéaste installe un crescendo d'une grande efficacité, à la fois par le jeu des lumières et des ombres, les ombres et les zones sombres qui dans le cinéma de Lynch jalonnent ses plans et revêtent toujours une grande symbolique, les visages hagards et troublés des spectateurs à la sortie de la représentation, et un design sonore où le bruit sourd et grave des machines mécaniques dans cette Angleterre en pleine révolution industrielle, le souffle de la vapeur, adoptent un rythme qui évoque la respiration et le système cardiovasculaire, comme si la limite entre humanité et machine se confondait.
Le docteur Frederick Treves, en découvrant John Merrick, décide e s'occuper de lui, il le présentera d'abord à l'académie de médecine où il enseigne l'anatomie, puis tentera d'aider du mieux qu'il peut John Merrick. D'abord convaincu que ce dernier est un attardé mental, il réalise très vite qu'il n'en est rien et que Merrick est un garçon sensible, intelligent mais meurtri et apeuré.
Mais les intentions louables et sincères de ce médecin, sont elles vraiment différentes moralement des agissements de son ancien maître ? D'un phénomène de foire condamné à une vie de misère, n'en a t-il pas fait une curiosité médicale, que la haute société se doit de visiter ? C'est là tout le dilemme que nous expose le film.
De même que l'opposition entre une société pauvre et sans morale, qui ne chercherait qu'un moyen pour gagner sa vie et une société plus riche et cultivée dont l'altruisme et la charité chrétienne seraient les seules motivations est sans cesse remise en question.
D'une très grande fluidité dans son scénario, servi par une réalisation, qui si encore une fois est plus académique en comparaison du reste de la filmographie du maître, est cependant d'une grande pertinence tant ici il est question de nous montrer la souffrance d'un homme et les monstruosités de l'âme humaine dans un réel tangible où les digressions oniriques n'ont cours. Admirable de beauté formelle, la photographie est d'une rare intensité et répond toujours aux sentiments qui nous sont exposés, jouant sur la finesse et la complexité, tantôt bouleversants, tantôt graves, tantôt touchés d'une lumière d'espoir et de légèreté.
Quelques seconds rôles épatants, je pense à Freddie JONES dont son incarnation de Bytes déborde d'humanité bien qu'il ne soit qu'un tortionnaire, brisant une fois de plus le manichéisme simplet de la situation, mais surtout sont à noter la prestation émouvante de Anthony HOPKINS qui ne joue pas les sentiments, il les vit et nous les offre à notre empathie, mais surtout l'incarnation bouleversante de justesse, d'émotions, un rôle habité et qui transperce l'écran et nos cuirasses de John Merrick par John HURT, créant non pas un rôle de monstre, mais bel et bien celui d'un homme vu comme un monstre, mais de qui transpire l'humanité et la détresse.
Véritable chef d'oeuvre, qui ne laissera personne insensible, et qui si vous n'aviez pas versé une ou deux larmes jusque là, finira par vous cueillir lors de la scène finale, illustrée par l'adagio pour cordes de Barber.