Vu en avant première le 26 janvier 2025 au cinéma Lumières Bellecour dans le cadre du festival "Télérama". Sortie nationale le 5 février 2025.
Ce mois de janvier cinéphile s'achève en ce qui me concerne par un immense coup de cœur, un instant suspendu de l'ordre du divin.
Maria Callas incarne devant l'éternel la diva ultime de l'opéra, considérée par les spécialistes de cet art total comme la plus grande cantatrice de l'histoire, dès lors se proposer de réaliser un biopic sur cette figure incontournable ayant dépassée dans l'imaginaire collectif les frontières de son univers, présentait le risque de tomber dans le piège du récit didactique finalement sans beaucoup plus d'intérêts qu'une page "Wikipédia". Pablo LARRAIN délivre ici une œuvre absolument passionnante, qui tant dans sa mise en scène, remarquable, que son montage audacieux ou sa narration déconstruite, se veut et se reçoit comme étant le point de vue d'un artiste sur un autre artiste. Or c'est ce que j'attends de l'exercice trop souvent formaté du biopic, un commentaire davantage qu'une leçon exhaustive. Ainsi parmi mes films préférés appartenant à ce genre, on trouve Mahler de Ken RUSSELL ou Velvet Goldmine de Todd HAYNES qui vont jouer sur le fictionnel pour proposer une lecture inédite des icônes du réel dont ils veulent parler. Je pourrais aussi évoquer Last Days de Gus VAN SANT qui est une imagination troublante et passionnante de l'esprit libre paradoxalement entravé de Kurt Cobain.
Quand le générique de fin arrive, je suis incapable de dire si Pablo Larrain m'a dressé un portrait fidèle de Maria Callas. Je suis incapable de dire si les faits et autres détails de sa vie qui m'ont été racontés appartiennent à la vérité historique ou aux fantasmes du réalisateur. La vérité c'est que cela m'indiffère, je n'ai pas ressenti le besoin impérieux d'aller consulter sur les Internet la biographie officielle de la soprano pour vérifier l'acuité de l'ensemble. Je me suis retrouvé et avec énormément de plaisir face à un discours, une retranscription subjective d'un artisan à propos d'une femme qui se trouvait être, elle aussi une artisane, en totale maîtrise de son art et cela aux dires de tous les exégètes. Dès lors si le film s'était contenté de me redire par l'image ou le dialogue que : "la Callas c'était la meilleure", l'ennui m'aurait vite gagné et "Maria" aurait trouvé sa place parmi les innombrables biopics sans passions.
Pablo Larrain en guise d'ouverture, commence par la fin, c'est à dire le décès déjà advenu de la cantatrice. Ce choix radical car il oblige à appliquer une figure de style qui mal réfléchie et pensée est source de maints ratages : le flashback. Nous retrouvons la diva une semaine avant son trépas et à compter de cet instant, aussi bien la mise en scène, par les mouvements de caméra, qui conjuguent fluidité et déplacements perpétuels des différents points de vus qu'elles embrassent, que les interventions des autres personnages, que les dialogues vont installer un flou entre le réel et l'imaginaire, mais aussi entre les souvenirs de gloire absolue et les regrets et remords d'une vie jalonnée d'épisodes douloureux.
Le film n'élude pas ses relations toxiques aux hommes, Aristote Onassis en particulier, le film ne fait pas omission des obsessions mortifères de cette femme pour son physique et ne craint pas d'entrouvrir la voie de la psychanalyse freudienne pour les expliquer. Le film ne cache pas les caprices et comportements injustes qu'elle a pu avoir envers son entourage le plus fidèle. Mais néanmoins tous ces points de critiques ont pour contrepoints, l'intensité prodigieuse qui ne se rencontre qu'une fois par siècle chez une artiste, qui par son talent incomensurable appartenait corps et âme à son art, à son public. Public qui finalement pourrait être son plus grand drame, celui qui la ménera à sa fin. L'exigence cruelle de celui-ci, ne lui ayant jamais totalement pardonné d'avoir du quitter la scène en raison de ses problèmes de santé, une perte de voix notament, poussera la star internationale qu'elle était à tenter en vain de mener ce combat altruiste mais autodestructeur visant à reconquérir son organe, par l'aide d'une automédication qui se révelera être l'exutoire chimique de ses névroses et obsessions.
Le film joue aussi sur le registre de l'allégorie pour souligner sans alourdir certains points, je pense au personnage de Mandrax par exemple, dont on se demande s'il n'est pas le fruit de ses hallucinations, d'une autre forme de visite fantasmatique qui comme celle d'Onassis illustrent ses failles et blessures intimes. Là encore avec la fluidité qu'installe la mise en scène entre ce qui tient de la licence cinématographique voulue par le cinéaste chilien et l'évocation pure et dure de l'histoire, l'ensemble est d'une cohésion surprenante. Cohésion qui du coup laisse les sentiments et la subjectivité jouer à plein et l'émotion qui se dégage du film, de ce portrait amoureux de femme, nous transporte comme rarement.
Un mot enfin sur Angelina JOLIE qui est époustouflante et revient sur nos écrans après une parenthèse imposée par des soucis personnelles - petit trivia technique, elle a suivi durant sept mois auprès des plus grands maîtres de chant des cours d'opéras et les chants que vous entendrez sont un mix de sa voix et de celle de la Callas - là aussi autre choix de production intelligent, Angelina Jolie ne ressemble pas à proprement parler à Maria Callas, mais comme le film n'est pas un précis sur la chanteuse, nous ne voyons donc pas une comédienne imiter son personnage mais une actrice incarner une vision, à laquelle il est très aisé d'adhérer, sur une artiste.
La musique est somptueuse évidemment et se paie même le culot de convoquer Brian Eno en coda de cet aria magistral.