Ce qui est sûr, c'est que le cinéma scandinave n'a pas froid aux yeux. On comprend sans peine la division critique extrême ayant accompagné la projection cannoise du nouveau film de Magnus von Horn, tant La Jeune Femme à l'aiguille est le genre d'expérience qui n'y va pas avec le dos de la cuillère et qui se fiche pas mal de ménager la sensibilité de son public.
Ainsi que le suggère son titre tout droit sorti d'une histoire d'Andersen, le long-métrage se présente comme un détournement glauque et oppressant des conte de fées traditionnels : dans un monde industriel crasseux à peine sorti de la Première Guerre Mondiale, où les couleurs semblent avoir disparu en même temps que l'espoir (on appréciera, paradoxalement, un noir et blanc de toute beauté), Karoline, ouvrière dans une usine de textile et sans nouvelles de son époux parti au combat, tombe amoureuse puis enceinte de son employeur, riche et séduisant homme d'affaires. Pas de chance pour notre Cendrillon locale, le Prince Charmant se révèle une ordure lâche et totalement soumis à l'horrible Belle-Maman. Il n'en faut pas plus pour que la souillon voit ses rêves d'émancipation précipités à ses côtés dans le caniveau. Une lumière au bout du tunnel semble alors se présenter à elle en la personne de Dagmar, Marraine la Bonne Fée acceptant de l'aider à placer son enfant à naître au sein d'une famille aidante et de lui offrir une place à ses côtés.
Il convient de souligner que le résumé du film affiché sur les différents sites ne couvre qu'une petite partie d'une intrigue construite à la manière de poupées gigognes, et dont les nombreux retournements suivent une gradation continue dans l'horreur. Plusieurs scènes, notamment, risquent de faire grincer les dents de nombreux spectateurs tant von Horn n'hésite pas à montrer frontalement ce que de nombreux réalisateurs « respectables » rechigneraient à filmer. A ce titre, on ne peut que conseiller à ceux qui découvriront le long-métrage de ne pas se renseigner en amont sur l'histoire vraie dont ce dernier s'inspire : le choc s'en trouvera décuplé. La mise en scène, clairement sous l'influence de l'expressionnisme allemand, se met au diapason de l'aspect rêche et agressif du scénario, n'hésitant pas à alterner compositions gothiques et embardées surréalistes, à l'instar de cette séquence d'ouverture à base de surimpressions et déformations grotesques de visages rythmé par des violons stridents (le genre de scène flirtant indiscutablement avec le pompiérisme mais d'une efficacité redoutable sur moi).
Si on peut regretter une certaine complaisance dans le sordide (contre-productive au vu du sujet traité), et le fait que le réalisateur privilégie la forme quitte à survoler la réflexion sociale et politique sous-jacente à son film, La Jeune Femme à l'aiguille gratte là où ça fait mal et ne laisse pas indifférent, au risque de se mettre au dos une grande partie du public. Ce qui, en soi, est toujours mieux qu'une énième œuvre conformiste cherchant à plaire au plus grand nombre, quitte à ranger toute audace au placard.