Si l’affaire Dutroux est restée dans les mémoires comme l’une des enquêtes criminelles les plus sordides et choquantes de l’histoire de la Belgique, ayant conduit aux viols et aux meurtres de plusieurs jeunes filles (dont certaines à peine sorties de l’enfance), elle a également mis en lumière les défaillances profondes du système judiciaire belge, et notamment de ses trois corps policiers (communal, judiciaire et national) empêtrés depuis plusieurs années dans une guerre intestine aux conséquences dramatiques. Le manque d’entraide et de communication entre les différents services a en effet profondément impacté le déroulement de l’enquête, conduisant à de nombreuses erreurs de procédures. Une situation qui poussera le gouvernement à entreprendre une réforme massive de la police belge, fusionnant les trois forces en une seule structure.


Bien que prenant place dans le même contexte temporel et géographique, et en dépit d’une ouverture émulant le style des vieilles VHS, Maldoror (référence évidente à l’œuvre du comte de Lautréamont) n’est pas une reconstitution fidèle et minutieuse de l’affaire Dutroux, mais une fiction s’en inspirant librement. Une approche sans doute motivée par la volonté du réalisateur de respecter les victimes et leurs familles, et à laquelle il se tient durant la totalité du long-métrage, ne cédant jamais à la tentation du spectacle gratuit ou du voyeurisme malsain. Si il ne présente que peu de scènes de violence physique, le nouveau long-métrage de Fabrice du Welz n’en reste pas moins un film dur, très dur, abordant frontalement la monstruosité dont l’être humain est capable (la scène à la limite du soutenable dans laquelle le protagoniste visionne les cassettes vidéos…) et qui risque de donner des sueurs froides à quiconque à des enfants. Paradoxalement, et en dépit d’une durée conséquente (2h30 au compteur), du Welz semble n’éprouver qu’un intérêt limité pour les aspects politiques et sociaux relatifs au déroulement de l’enquête : l’état d’esprit de la population, témoin d’une horreur se déroulant au seuil de sa porte, est reléguée à l’arrière-plan ; quant au conflit interne entre les différents corps de la police (pourtant une composante essentielle de l’affaire), il se voit résumé par quelques scènes parfaitement anecdotiques, dont une séquence de diversion assez lunaire.


Ce qui retient vraiment l’attention du réalisateur, c’est la lente descente aux enfers de son protagoniste. A ce sujet, le choix d’Anthony Bajon pour le rôle principal s’avère des plus judicieux, tant son visage poupon et sa dégaine post-adolescente le placent d’emblée en décalage par rapport à ses collègues. En plus de confirmer l’impressionnante versatilité du jeune acteur, très convaincant dans la transition opérée par son personnage, alors que la paranoïa et la colère le gangrènent chaque jour un peu plus. Une chute psychologique progressive, portée par une mise en scène citant certes les grands mètres étalons du genre (Zodiac et Le Silence des Agneaux en tête), mais se permettant également des références cinéphiliques plus inattendues : une scène de mariage filmée sous toutes les coutures, tel un contrepoint idyllique à la noirceur qui s’annonce, à la manière de celle du Voyage au bout de l’enfer de Cimino ; une fusillade tout droit sortie d’un polar hardboiled ; ou encore une séquence nocturne horrifique lorgnant presque du côté de Saw. Dommage que l’attention portée par du Welz à son anti-héros en vienne à éclipser les autres personnage, à l’instar de celui de la petite-amie (Alba Gaïa Bellugi) bien vite réduite au rôle de mère au foyer ne servant qu’à surligner l’obsession quasi-pathologique de son mari à résoudre l’enquête, quitte à sacrifier sa vie de famille. On évitera de s’attarder sur la grande Béatrice Dalle, honteusement sous-exploitée.


Au final, sous ses atours de thriller policier déprimant, Maldoror montre avant tout comment un idéal de justice, aussi sincère soit-il, ne peut que finir broyé sous les mâchoires d’un système pourri jusqu’à la moelle et ayant depuis longtemps renoncé à ses valeurs.

Little-John
7
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le 24 sept. 2024

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Little John

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