De manière générale, il est sage de se méfier lorsqu’un produit culturel – film, livre, jeu vidéo – recueille les éloges unanimes de la presse et du public… mais, il s’agit indéniablement d’un gage que l’œuvre en question déchaîne les passions et ne laissera donc pas indifférent.
En compétition dans 14 catégories aux Oscars, « La La Land » est le film qui a décroché le plus grand nombre de nominations de l’histoire, à égalité avec « All about Eve » et « Titanic ». Pas mal à l’égard du palmarès de prestige d’une cérémonie qui fêtera ce février son 89e anniversaire… Si l’on ajoute à cela la flopée de récompenses déjà glanées aux Golden Globes, aux BAFA, et dans tous les autres festivals de cinéma moins célèbres, le film s’annonce d’emblée comme le grand favori de la soirée du 26.
Le pitch est aussi prometteur : la rencontre et la romance, à Hollywood – comme de juste – d’un pianiste passionné de jazz et d’une aspirante actrice qui végète entre petits boulots et auditions ratées, sur fond de comédie musicale fleurant bon les thèmes et habitudes de l’âge d’or. Un tel métrage a donc de sacrés arguments à faire valoir… mais il est aussi légitime d’en attendre beaucoup.
Après visionnage du morceau, il faut avouer qu’il est bien de qualité.
Avec une histoire simple, mais développée efficacement, Damien Chazelle parvient à produire un film qui dégage une forte énergie et possède une identité bien marquée, tout en développant aussi l’idée qui lui sert de fil conducteur : faut-il poursuivre ses rêves jusqu’au bout et à tout prix ? Employant Emma Stone et Ryan Gosling, dont l’alchimie est manifeste depuis « Crazy, Stupid, Love » pour des rôles dans lesquels ils se glissent aisément, Chazelle fait vivre au spectateur une romance mélancolique sans artifice tapageur ou pathos excessif. Néanmoins, en dépit d’indéniables qualités, le film pèche sous certains aspects qui l’empêchent de tendre vers le niveau de ses illustres prédécesseurs (et références), tels des « Chantons sous la pluie » ou « Tous en scène ».
Le film se revendique d’être une "comédie musicale". S’il s’agit incontestablement d’un "musical", j’ai l’impression que le côté "comédie" passe un peu à la trappe. Les numéros chantés et dansés de « La La Land » sont, de manière générale, assez réussis, offrant toute une palette de couleurs, des contrastes saisissants, un onirisme parfois assez poétique (la scène de l’Observatoire), voire même une bonne humeur sincère (l’ouverture sur l’autoroute). À côté de cela, de manière à accentuer la corde mélancolique du film, Chazelle se paye aussi quelques chansons plus tristounettes, qui lorgnent presque du côté de chez Disney. Néanmoins, ces numéros manquent de l’énergie viscérale, irrésistible, qui faisait le charme des comédies musicales des années 30 ou 50. Par rapport à un fantastique "That’s Entertainment" ou au mythique "Good Morning", « La La Land » manque singulièrement de vivacité. À la décharge du film, Ryan Gosling et Emma Stone sont des comédiens avant d’être chanteurs ou danseurs : ne sont pas Ginger et Fred qui veulent.
Cela étant, le film a d’autres atouts à faire valoir. La parenté des comédies musicales des années 50 me paraît évidente, mais « La La Land » réussit à se créer une identité propre, se contentant de référencer plutôt que de copier grossièrement. Il transpire du film un vrai amour du cinéma de l’âge d’or – et ce, dès l’apparition des énormes lettres formant le mot "Cinemascope" en ouverture du film – qui ne sera d’ailleurs pas étranger à l’affection toute nombriliste d’Hollywood pour le film…
Sur d’autres plans "techniques", le film alterne le bon et le plus mauvais. Ryan Gosling n’a rien à envier à Fred Astaire ou au sourire colgate de Gene Kelly : s’il ne leur arrive pas à la cheville lorsqu’il s’agit de danser, il est sans doute bien meilleur acteur que les deux larrons. Je lui trouve une capacité d’interprétation très naturelle qui lui permet de se fondre dans le personnage de Sebastian sans aucun mal ; il est à sa place à chaque instant. Au contraire, Emma Stone m’est toujours apparue comme un peu plus laborieuse… Je ne pense pas que ce soit une très grande actrice, et là encore, la comparaison avec les films de l’âge d’or n’est pas glorieuse pour « La La Land ». Emma Stone rend toujours cette impression de "forcer", de telle sorte qu’elle a cette tendance à surjouer. Il faut reconnaître que son visage, assez particulier, est très expressif, et que cela peut contribuer à donner ce sentiment.
En termes de réalisation il y a quelques scènes particulièrement ratées. Je ne suis généralement pas très sensible à la manière de "bien filmer" un film. N’étant absolument pas connaisseur de la technique, je préfère me focaliser sur la façon dont un réalisateur conte son histoire plutôt que de m’extasier sur la longueur d’un plan-séquence. Pour moi, la réalisation, le cadrage, le montage, etc… doivent être au service de l’intrigue, et non l’inverse. Les effets tapageurs de mise en scène à la Iñarritu ont tendance à plus m’agacer qu’autre chose. Une mise en scène réussie se doit d’être discrète : si le spectateur n’a rien à redire en fin de séance, le pari est gagné. Ce n’est pas le cas dans « La La Land », où deux scènes, en particulier, sont très désagréables. Cherchant peut-être à donner une impression de vitalité, voire de frénésie, Chazelle utilise à deux reprises un montage épileptique, qui tourne dans tous les sens et alterne entre les plans à toute vitesse. Le seul effet réussi, c’est celui de donner envie de vomir au spectateur…
En dépit de ces défauts, parfois assez regrettables, le film de Damien Chazelle possède une sincérité attachante et un final vraiment très réussi. Le thème déjà abordé dans « Whiplash » de poursuivre son rêve, à n’importe quel prix, se retrouve également dans « La La Land ». Les dix-quinze dernières minutes du film offrent une conclusion délicieuse sur ce sujet, dans une ambiance mélancolique parfaite.
S’il n’atteint jamais le niveau – très élevé – des grandes comédies musicales des années 50, « La La Land » se révèle être un film très agréable, qui possède ses moments de grâce : une scène de claquettes qui éveille la nostalgie du fan, et surtout une conclusion magnifique. Les numéros dansés et chantés sont globalement réussis, et la musique du film est très bonne (vive le jazz).
Au passage, quelques jours avant les Oscars, je remarque que le cru de cette année 2016 est plutôt sympathique. Entre des légendes comme les frères Coen et le bon Woody Allen, toujours en forme, des plus ou moins jeunes qui s’imposent régulièrement comme des artistes incontournables, tels les Villeneuve, Linklater, et donc, Chazelle, il y a vraiment de quoi trouver son bonheur. Et donc, même si "c’était mieux avant", il faut reconnaître que tout ne va pas si mal, et qu’il reste bien autre chose que les daubes de Marvel ou de DC pour apprécier une bonne séance de cinéma.