Lorsque l'an dernier commençait à courir la rumeur qu'une comédie musicale avec Ryan Gosling et Emma Stone allait sortir auréolée d'une appréciation des plus flatteuses, mon sang d'amateur forcené de musical hollywoodien ne fit qu'un tour, et comme je suis têtu, je passe au-dessus de la pire campagne promotionnelle de ces dernières années pour ne pas fausser mon plaisir et me plonger doucement dans ce plaisir pervers qui est de voir des gens à l'écran s'arrêter de parler normalement pour pousser la chansonnette en esquissant trois entrechats dans des costumes colorés et des décors qui ne le sont pas moins.


Et là, malheureusement, ça commence assez mal, un prologue inutile, une chorégraphie et une chanson assez médiocre qui regroupe en sous-texte tout ce que le discours consensuel actuel peut avoir de lourdement putassier, une gestuelle et des voix dignes des misérables spectacles contemporains et l'impression fugace que la catastrophe n'est peut-être pas très loin...


Et puis, Dieu merci, l'histoire commence, se concentrant sur ses deux petits bouts de stars et leur mignonne idylle, leurs timbres infiniment plus humains, et la soupe fortement sucrée se laisse plus joliment avaler. Alors certes, le décorateur et le costumier sont probablement daltonien et n'ont pas grand chose au génie des couleurs minnellien, et certes (derechef), Bob Fosse n'est pas sorti de sa fosse, sceptique, pour diriger les chorégraphies et je préfère ne pas trop non plus insister sur le vide laissé par Cole Porter et ses épigones, mais ça passe plutôt gentiment. On comprend même à un moment pourquoi la frêle jeune fille ose porter des chaussures bleues avec une robe jaune et un sac rouge, c'était tout simplement pour pouvoir en changer et grappiller quelques claquettes, il suffisait d'y penser...


Et donc, c'est tout gentillet, on se rend compte une fois de plus que le téléphone portable est absolument incompatible avec toute possibilité d'histoire respirant la fougue et la joie de vivre*, on essaie d'oublier que la plupart des moments musicaux tournent et retournent autour du seul "tube", on passe à la trappe une fin aussi facile qu'artificielle et on se demande bien qui verra encore ce film dans dix ans, mais ce n'est peut-être pas si grave...


C'est dommage quand même que le réalisateur qui explique pourtant grassement comment le doux Ryan se prostitue pour de la musique barbare ne se soit jamais rendu compte qu'il avait, à moindre échelle, à peu près la même démarche... Je veux bien que les grandes comédies musicales se fondent sur la musique populaire, mais lorsque le populaire est tombé aussi bas ce n'est probablement pas une bonne idée de l'y suivre.


Reste quand même l'impression persistante que ce charmant produit jetable prouve une fois de plus (comme le dernier Coen sur une thématique proche) que le métier est définitivement perdu, et que pour s'oublier réellement sur grand écran devant un back brush de haut vol, il ne reste plus que les cinémas de patrimoine, le premier janvier, avec une gueule de bois en plomb.


*En français dans le texte

Torpenn
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le 7 févr. 2017

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Torpenn

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