Avant même d'aller voir La La Land, ce film me posait un petit problème... L'apparente unanimité autour du nouveau film de Damien Chazelle, censé être une merveille absolue rendant ses lettres de noblesse à un genre cinématographique quasi-mort, la comédie musicale, se heurtait aux avis de quelques amis cinéphiles qui étaient profondément énervés par une oeuvre qu'ils trouvaient insipide, criarde et prétentieuse! Ayant pour ma part adoré Whiplash (second long de Chazelle mais le premier qui soit parvenu jusqu'à nos salle obscures, "Guy and Madeline on a Park Bench" étant resté très confidentiel), j'étais donc tiraillé entre l'envie de découvrir le nouveau film de ce réalisateur ô combien prometteur, et la crainte d'être affreusement déçu comme ceux qui le dégommaient violemment... J'ai laissé passer un peu de temps, et j'ai fini par prendre mon courage à deux mains et aller le voir, en me disant "Bon, si c'est nul tant pis, au moins tu te seras fait ton propre avis et ça te rappellera que les réalisateurs n'ayant que de grands films à leur actif sont rarissimes! Et qui sait, peut-être est-ce aussi génial que presque tout le monde semble le penser, et vas-tu passer un moment magique..."
Comme ma note et le titre de ma critique l'indiquent, je n'ai malheureusement pas passé un "moment magique". Mais je n'ai pas été catastrophé non plus, et ne crie pas à l'arnaque ou au navet comme certains! J'ai simplement passé un moment plutôt sympathique devant un film ambitieux pourvu de nombreuses qualités, mais aussi affligé de pas mal de défauts, notamment techniques, et donc "pas mal"... mais "pas top"!
Mia (Emma Stone), une jeune actrice originaire du Nevada et installée à Los Angeles pour tenter de se faire une place à Hollywood, rencontre Sebastian (Ryan Gosling), un pianiste passionné de jazz dont le rêve est d'ouvrir son propre club pour y faire revivre ce genre musical moribond. Dans le milieu très surfait et artificiel du show-biz, leurs passions respectives et leur authenticité vont les entraîner presque malgré eux dans une histoire d'amour, bercée par la musique et la danse.
Autour de ce pitch un peu classique, le réalisateur, qui a également écrit le scénario de La La Land, entreprend de rendre hommage au cinéma qu'il aime, et pas uniquement au genre précis de la comédie musicale, en adoptant les codes de ses classiques favoris, mais aussi d'ancrer son histoire et ses personnages dans la réalité pour ne pas rester dans un univers purement fantasmatique mais au contraire dans un environnement crédible et mature. Tâche ardue et noble s'il en est! Il nous propose donc à la fois des séquences folles et enthousiastes dans lesquelles les gens se mettent à chanter et danser dans la rue comme dans les vieilles comédies musicales de l'âge d'or hollywoodien, et d'autres nettement plus terre-à-terre dans lesquelles se développent des enjeux dramatiques plus sérieux ou plus sombres.
Si l'entreprise est intéressante et par moments très réussie, elle souffre aussi parfois de défauts techniques et d'un manque de recul plombants. Tout le monde parle par exemple de la virevoltante scène d'ouverture, un plan-séquence (un peu traficoté car en réalité assemblé à partir de trois plans distincts, mais au diable le snobisme puisque l'illusion fonctionne, tout comme dans Birdman par exemple, grâce à un gros travail et une belle ingéniosité!) de six minutes dans lequel des dizaines d'automobilistes sortent de leurs véhicules et se mettent à chanter et danser sur l'autoroute en un immense ballet... Cette scène, qui rend hommage aux "Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy, bien qu'impressionnante, n'en a ni la grâce chorégraphique, ni l'élégance musicale de Michel Legrand. La musique, de Justin Hurwitz (meilleur ami et ancien co-locataire de Chazelle), et les paroles de "Another Day of Sun" sont nettement moins inspirées et très vite oubliées. De plus, à vouloir pousser la prouesse technique au plus loin pour donner l'illusion du plan-séquence, Chazelle se fait lui-même l'otage de la lumière naturelle et de la vitesse de mouvement de sa caméra, ce qui crée des zones d'ombre malvenues sur certains visages (effet "tête de mort"), et quelques regrettables erreurs de mise au point (qui ne seront malheureusement pas les seules du film...) que l'énergie vise à faire oublier ou pardonner. Et ça fonctionne plutôt bien, car même si ce n'est pas parfait, ça lance quand-même le film sur des bases alléchantes et qu'on a envie d'être soi-même enthousiaste. Mais le ver est déjà dans le fruit...
D'abord parce que La La Land n'est pas à proprement parler une comédie musicale malgré la présence de chant et de danse... Ou alors une comédie musicale assez pauvre. Sur les six chansons du film, seules deux ("City of Stars" et "Audition (The Fools Who Dream)") sont véritablement inspirées et marquantes. Les autres sont assez quelconques et oubliables, ou frôlent même parfois une certaine vulgarité comme la putassière "Start a Fire" chantée par John Legend. Ensuite parce qu'au niveau danse, même si c'est "pas mal", c'est très, mais alors très très loin d'approcher la beauté et l'excellence technique des chorégraphies des films dont celui-ci s'inspire ou auxquels il rend hommage, que ce soient "Les Demoiselles de Rochefort" déjà cité, "Chantons sous la pluie", ou les incroyables duos de danse de Fred Astaire et Ginger Rogers par exemple. Il y a du travail, c'est assez chouette, mais ne nous leurrons pas, ça n'arrive pas à la cheville, que ce soit vocalement ou au niveau danse, de ces illustres prédécesseurs!
Soit, me direz-vous, mais il n'y a pas que la performance purement technique qui compte. L'engagement des interprètes et le coeur qu'ils mettent à l'ouvrage sont primordiaux! Et je suis bien d'accord sur ce point. C'est d'ailleurs quand les chansons leur demandent le moins vocalement qu'ils sont le plus touchants car ils ne sont pas empêtrés dans une lutte technique mais pleinement présents à ce qu'ils doivent exprimer. La simplicité leur permet alors de nous livrer une jolie part de leurs êtres dans de petits mais intenses moments de grâce. De quoi regretter que toutes les séquences chantées et dansées n'aient pas été globalement moins ambitieuses sur le plan technique mais plus sobres et donc plus riches émotionnellement parlant...
En ce qui concerne l'acting à proprement parler, il n'y a d'ailleurs pas grand chose à reprocher à Emma Stone et à Ryan Gosling. Lui, sans se renier, nous montre tout-de-même des facettes de son jeu d'acteur assez peu exploitées jusque-là, avec subtilité dans les moments clés mais aussi avec un sens comique qu'on pouvait déjà deviner dans le surprenant "The Nice Guys". Elle en incarnant à merveille la jeune et fraîche (certains diront trop fraîche et trop expressive mais je ne suis pas de ceux-là) comédienne, à cheval entre la naïveté et l'enthousiasme des débuts et le début d'aigreur dû à une longue succession de désillusions, qui porte son coeur à deux mains devant elle, affichant toutes ses émotions. Le duo fonctionne plutôt bien à l'écran. Malheureusement, le séquençage adopté par Damien Chazelle ne permet de faire le "focus" que sur certaines étapes clés de leur relation, ce qui l'empêche d'atteindre une profondeur suffisante aux yeux du spectateur pour qu'il s'attache vraiment à ce couple dont l'histoire semble par conséquent un peu superficielle. C'est le risque, à trop jouer sur les effets de mise en scène et pas assez sur la psychologie des personnages... On obtient une émotion un peu "cheap" au lieu de quelque chose de vraiment bouleversant.
Concernant le propos développé dans La La Land, le bilan est à mon sens moins contrasté. Chazelle qui avait écrit le premier jet de son scénario avant de faire Whiplash, dans une période un peu sombre de sa carrière de jeune réalisateur où il avait l'impression qu'il n'y arriverait jamais et où il voyait autour de lui beaucoup de gens désabusés par un métier et une industrie qui n'offrent pas facilement leurs clés mais broient en revanche aisément beaucoup d'espoirs, y brosse le tableau d'un Hollywood paradoxal. C'est la machine à rêves, celle où tout est plus grand que nature, plus beau, plus coloré, plus vif, mais c'est aussi la machine à briser les rêves, cruelle, impitoyable, inhumaine, parfois totalement dénuée de logique et de sens commun. Il montre bien comme le succès n'est absolument pas, ou alors de façon assez marginale, une question de talent. Vous pouvez être bon, généreux, passionné, lumineux, et n'être considéré qu'à peine mieux qu'un misérable insecte. Et vous pouvez aussi être mauvais, idiot, ou malhonnête et très bien vous en sortir ou carrément toucher la gloire. Le talent, c'est secondaire! Beaucoup d'autres en ont... Le travail, ça compte, mais ça aussi c'est secondaire parce que ça ne suffit pas! Ce qu'il faut, c'est être au bon endroit au bon moment, être remarqué par la bonne personne et faire le bon choix à l'instant T. Ce n'est pas qu'une question de chance, même si c'est un facteur important. Parfois, c'est savoir accepter de se compromettre un peu, pour se donner les moyens plus tard d'accomplir son véritable rêve. Mais ce "plus tard", comment décider qu'il est arrivé? Quand doit-on se résoudre à prendre des décisions radicales, dans un sens ou dans l'autre? La question est intéressante, et elle a le mérite d'être posée dans un film qu'on imagine seulement léger parce qu'il est qualifié de "comédie musicale", mais qui a parfois des accents moins lumineux.
C'est en fait là ce qui m'a le plus séduit dans La La Land. Son côté mélancolique et sa nostalgie, assumée sans être porteuse d'une pensée outrageusement décliniste, lui confèrent une certaine maturité inattendue. On sait pourquoi on aime ces vieilles comédies musicales et ces vieux classiques auxquels il fait référence : ils sont le reflet d'une époque vue comme plus simple dans l'inconscient collectif. Ils sont beaux et entraînants, ils alimentent nos rêves et nos fantasmes de façon confortable. Mais on n'est pas dupes. Ils alimentent aussi indirectement la mélancolie due à une réalité qu'on sait nettement moins facile et belle. Le contraste indéniable entre eux et elle nous ramènent les pieds sur terre au final, nous force à être des "adultes responsables" alors qu'on voudrait être de rebelles romantiques, avec ou sans cause à défendre...
Voilà pourquoi je regrette que La La Land n'ait vu le jour que maintenant et pas à l'époque où Chazelle tentait désespérément de le monter avec un budget beaucoup moins gros. L'énorme succès critique et commercial de Whiplash a donné les moyens au jeune réalisateur de faire un film beaucoup plus ambitieux que ce qu'il avait prévu au départ. Mais aussi l'impératif de faire un gros film, un blockbuster de la comédie musicale, un truc qui vous en fout plein la vue, avec toutes les contraintes en terme de production et de communication qui vont avec. Cette surenchère l'a donc poussé à jouer moins dans la finesse et plus dans l'esbrouffe, laissant passer des défauts importants tant aux niveaux technique (j'ai déjà parlé de problèmes de mise au point, mais il y a aussi des soucis de post-synchro, des éclairages parfois bâclés laissant voir des erreurs de maquillage impardonnables, ou datés, des soucis de profondeur de champ, un mixage pas toujours inspiré...) que scénaristique (relation amoureuse insuffisamment approfondie, quelques menues incohérences et raccourcis faciles mais nuisant à la crédibilité globale) par manque de recul. Avec moins de moyens et d'ambition, avec plus de simplicité, le film aurait sans doute pu être beaucoup plus sensible, vrai, viscéral, touchant car moins artificiel et obligé d'en faire toujours plus. Le mieux est parfois (peut-être même souvent) l'ennemi du bien!
En conclusion, je dirai que La La Land est bel et bien, comme mon titre l'indique, sur-évalué, à cause d'une énorme hype orchestrée autour de sa sortie depuis de très nombreux mois, de l'attente fébrile provoquée par l'excellence de Whiplash, et du "wow effect" accompagnant l'espoir d'un renouveau du genre si particulier qu'est la comédie musicale. Il n'est pas à mon sens un mauvais film, mais il a beaucoup trop de défauts pour être considéré comme un grand ou même un très bon film. Il n'est qu'un film "pas mal", devant lequel on passe un moment plutôt agréable mais pas transcendant, alors qu'il aurait pu être tellement plus si on n'avait pas attendu de lui qu'il soit un chef-d'oeuvre.