Le lexique du temps
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
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le 10 déc. 2016
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En grand fan du cinéma de Denis Villeneuve, surtout de Prisoners et de l'hallucinant Enemy, et dans une mesure un peu moindre de Sicario, j'étais assez intrigué de voir comment il avait abordé le genre de la science-fiction avant de s'atteler au pari le plus risqué et casse-gueule de sa carrière : donner une suite à l'un des chefs-d'oeuvre absolus du genre : Blade Runner... Je suis donc allé voir son Premier contact ("Arrival" en Anglais) avec beaucoup de curiosité.
Le tout début du film nous présente succinctement sa narratrice, Louise Banks (magnifiquement interprétée par Amy Adams), une spécialiste en linguistique comparée endeuillée par la mort de sa jeune fille. Puis, alors qu'elle donne un cours à l'Université, le monde entre en ébullition suite à l'apparition soudaine de douze vaisseaux spatiaux au-dessus de douze zones du globe à l'intérêt géo-stratégique apparemment nul. Aucune attaque n'est lancée par ces étranges vaisseaux, qui restent juste là, sans qu'on sache ce qu'ils attendent... Personne sur Terre n'ayant jusque-là réussi à établir un dialogue avec ces vaisseaux, l'armée américaine envoie le Colonel Weber (campé par le génial Forest Whitaker, également présent en ce moment dans les salles obscures dans Rogue One) faire appel aux compétences exceptionnelles en matière de communication de Louise, déjà habilitée au "secret-défense" pour avoir aidé le gouvernement par le passé. Elle va donc partager avec Ian Donnelly, un physicien (Jeremy Renner, aka Hawkeye dans la franchise Avengers), le privilège et le risque de pénétrer dans l'un de ces vaisseaux pour tenter d'établir un véritable contact avec ces visiteurs afin de comprendre ce qu'ils peuvent bien être venus faire chez nous, et ce qu'ils attendent de l'Humanité.
Bien que n'échappant pas à quelques poncifs du genre, comme des scènes de panique et d'émeutes télévisées, ou d'habituels débats stériles sur les intentions incompréhensibles de ceux que certains voient comme de dangereux envahisseurs alors que d'autres les imaginent en pacifiques visiteurs, Villeneuve ne leur laisse que la portion congrue de son film, et les emploie de façon plutôt intelligente et non dénuée d'une certaine ironie.
On comprend très vite que le coeur de ce film et de son histoire seront une mise en scène méticuleuse, une science du cadrage millimétrique, et une ambiance sonore toujours au service de l'image et d'un scénario exigeant qui donne à réfléchir. Aucun effet de style n'est gratuit ou ne vise qu'à en mettre plein la vue, bien au contraire, tout a un sens. Et c'est bien là la pierre d'angle de cette histoire. Chercher un sens dans ce qui à priori semble n'en avoir aucun. Comment établir une communication claire et signifiante avec des êtres si radicalement autres que même nos systèmes de pensée sont radicalement différents du leur?
Alors que le monde moderne nous répète à l'envie que le langage universel, si tant est qu'il puisse en exister un, ne peut être qu'un langage mathématique, Premier Contact prend le contre-pied total de cette affirmation "scientiste", et développe à travers le discours et les explications de son héroïne Louise une approche radicalement différente selon laquelle le langage que l'on parle conditionne l'architecture même de nos intellects et donc de nos façons de penser et de voir le monde. Alors il faut être attentif et s'accrocher un peu, parce qu'on ne nous mâche pas le travail, mais pour peu qu'on écoute vraiment ce qui se dit, on finit par saisir les concepts développés.
La rythmique du film, tout comme le laborieux travail visant à établir une compréhension réciproque entre les Humains et ces aliens, n'est pas non plus facile et rapide. Villeneuve prend le temps de poser ses ambiances, de développer les séquences, de nous montrer dans les yeux de ses personnages ce qui se passe au fond de leur psyché et dans leurs coeurs. Et là aussi, c'est au final d'une efficacité redoutable. Tout comme Jeff Nichols l'avait fait avec son magistral Midnight Special, il fait passer des idées et des éléments essentiels à la bonne compréhension du film et de ses thématiques à travers un montage très signifiant.
De même, les quelques références distillées avec subtilité tout au long du film nous feront penser à d'autres monuments du genre de la science-fiction, et à la façon dont leurs auteurs avaient eux-mêmes choisi de traiter le genre en question. On pensera donc fréquemment pendant la séance à Rencontres du Troisième Type, à Contact, à Interstellar, ou encore à 2001 l'Odyssée de l'espace. Tout cela sans jamais tomber dans le piège du plagiat ou du fan-service, mais au contraire en développant un film à l'identité propre, et qui pousse ses spectateurs à se poser autant de questions qu'il a pu le faire en regardant ces illustres références.
Je conclurai donc en disant que Villeneuve a signé là ce qui est à mon sens son plus grand film à ce jour, ce qui n'est pas peu dire, qui aura une place légitime et prépondérante dans la filmothèque de tout amateur de science-fiction qui se respecte. Et que je suis foutrement impatient de voir ce qu'il nous réserve pour la suite redoutée de Blade Runner, car en véritable auteur de cinéma qu'il est, je suis de plus en plus confiant en ses capacités à nous offrir une nouvelle oeuvre majeure du genre!
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le 17 déc. 2016
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