La La Land est pour moi une source de conflit intérieur : habituellement neutre à l’égard du genre de la comédie musicale, parfois même un chouïa dédaigneux, l’exercice n’est donc vraiment pas ma tasse de thé. Ici, je tendrai à dire que je ne l’apprécie toujours pas, mais qu’en sa qualité de virtuose, Damien Chazelle rend la chose étonnamment digeste... non sans nuance.
La fameuse introduction de l’oscarisé meilleur long-métrage 2017 n’illustre que trop bien cet état de fait : le papa du démentiel Whiplash accouche en ce sens d’une séquence à la mise en scène exceptionnelle, les coupes minimalistes conférant à cette succession de plans une dynamique des plus enchanteresses. Saupoudré de chorégraphies classes à souhait, le tout fait donc montre d’une plastique aguicheuse... bien qu’il n’apporte rien au récit si ce n’est planter un décor certes impressionnant mais succinct/vain.
Comme dans son précédent film, Chazelle se fend donc d’une réalisation folle, sa caméra magique se liant à une superbe photographie pour doter La La Land d’une ambiance brillant de mille feux (les jeux de couleurs et de lumières sont fantastiques) ; et je serai de mauvaise foi si je n’admettais pas l’indéniable qualité des passages musicaux s’ensuivant, d’ailleurs davantage propices comme pertinents de par leurs apports atmosphériques/scénaristiques.
Néanmoins, outre cette démonstration formelle, le film est avant tout sacrément solide sur le fond : bon, je confesse et conviens que tomber amoureux d’Emma Stone pourrait avoir faussé ma lecture, mais tout de même quelle performance ! Associée à ce diable de Ryan Gosling, décidément parfait quant il s’agit de camper des losers beaux gosses, cette mutine de rouquine crève l’écran au cœur d’un duo foutrement attachant : notre empathie, n’ayant de cesse d’aller croissante, se corrèle alors à la rencontre rafraîchissante de ces deux âmes paumées, des étoiles plein les yeux en vue de réaliser leurs rêves respectifs dans la Cité des Anges.
Le prisme « romantique » de La La Land confère ainsi une intensité incroyable à cette histoire d’amour pas comme les autres - mais là n’est pas la « normalité » de toute romance unique ? - nous remuant savamment, le récit alternant les instants de liesses et zones d’ombres pernicieuses où le doute altère l’idylle. Lorgnant du côté du feeling-good movie, l’ensemble m’aura plutôt filé le bourdon à l’aune d’un dénouement des plus intelligents, celui-ci parachevant son propos véritable au détour d’une imagerie fantasmée aussi bien par nos deux lurons que nous : car par-delà l’histoire d’amour, La La Land est avant tout une peinture du sel de l’existence, suspendue au poids de l’accomplissement personnel (carrière à Hollywood - club de jazz) et un envers sentimental renversant... mais terreau de bien des obstacles.
En prenant le risque de ne pas céder aux sirènes de l’habituel happy-end, le long-métrage opte donc pour cette brève « relecture » des événements pour mieux encore nous achever au gré d’un ultime échange de regards, marque de fabrique de Chazelle ; celui-ci nous convie donc à peser les sacrifices qu’engendre toute entreprise de vie, la relation de Mia et Sebastian succombant en ce sens aux coups de butoir d’un destin taquin. Nous pouvons alors nous interroger sur la pleine réussite ou non de ces derniers, mais cela tiendrait d’un jugement des plus personnels, de par l’importance d’un tout à chacun accordée à des objectifs de tout horizon... l’équilibre entre bonheur personnel et alchimie de couple est à juste titre définitivement un casse-tête sans nom.
Pour le reste... tout n’est pas non plus parfait : en effet, le scénario n’échappe pas à des poncifs de la comédie romantique, un fait paradoxal au regard de cette fameuse « fraîcheur » propre au récit. Il en résulte donc une prévisibilité patente, La La Land ne parvenant pas à vraiment surprendre en termes de structure narrative telle que schématisée comme suit : rencontre/jeu - baiser - idylle à son paroxysme - ventre mou/engueulade attendue - réconciliation... puis ce satané pied-de-nez final concluant le déroulé sur une bonne note.
Bref, à l’image de l’archétypal « coup de fil donné par une directrice de casting ayant adoré la pièce de Mia que Mia pensait avoir foiré parce que des gens méchants ont bavé dessus mais en fait c’était juste un coup de pression/bluff », La La Land demeure une belle surprise entachée d’évidentes limites : mais comme Chazelle m’aura finalement fait apprécier une comédie musicale (du moins dans son ADN), voilà de quoi applaudir ce spectacle haut en couleurs... et méditer sur le potentiel du genre.