Jane Campion est une réalisatrice qui met en scène le malaise, qui le met en images et qui aime la "beauté laide". Même les magnifiques paysages de ce film, qui se déroule en nouvelle Zélande, sont minés par quelque chose d’horrible ou qui naît de l’horreur (sur le point de devenir horrible).
Ada McGrath (Holly Hunter) est muette, sans raison précise, depuis l’âge de 6 ans et communique avec sa fille Flora (Anna Paquin) en langue des signes. C'est alors que le film commence, lorsqu'Ada et Flora débarquent en Nouvelle-Zélande pour épouser Alisdair Stewart (Sam Neill). Son piano est la seule chose matérielle auquel elle tient, c'est sa voix et sa seule façon de communiquer. Cependant, Alisdair le juge trop lourd à porter et le laisse sur la plage. C'est alors que lui vient l'idée de vendre le piano à son voisin analphabète George Baines (Harvey Keitel). George propose à Alda de le lui revendre contre une visite pour chaque touche de piano et elle réplique avec juste les touches noires (la moitié des touches, quoi !).
Cette histoire d’amour chargée d’érotisme de la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion, a été un énorme succès en 1993, remportant l’Oscar de la meilleure actrice pour Holly Hunter et de la meilleure actrice dans un second rôle pour Anna Paquin, qui est devenue la deuxième plus jeune actrice récompensée d'un Oscar de tous les temps (à seulement 11 ans). Les performances d'Holly Hunter et d'Anna Paquin sont indissociables. Les mêmes yeux noirs, les mêmes longs cheveux lisses et noirs, le même tempérament de feux ... la ressemblance est folle entre les deux actrices, ce qui renforce les liens entre Ada la mère et sa fille Flora. La Leçon de piano c'est le portrait d'une mère et d'une fille très soudées.
Ada est un personnage assez fascinant, pas seulement parce qu'elle est muette et parce qu'elle est très attachée à son piano. En réalité, elle est plutôt manipulatrice et sexuellement puissante, usant de son pouvoir sexuel sur les deux intérêts amoureux de sa vie (Alistair et George) et jouant un jeu de pouvoir dangereux avec son mari, qui devient de plus en plus jaloux.
Le contraste ne pouvait pas être plus évident, entre les deux hommes dans la vie d’Ada. Alistair est un homme consciencieux, soucieux des affaires et assez inapte dans la parade amoureuse, tandis que Baines est physiquement imposant, vivant dans la forêt, son visage marqué par des tatouages maoris. Il est évident que Jane Campion a une préférence pour Baines et qu'il faut se méfier d'Alistair.
Les scènes entre Ada et Baines, dans lesquelles elle joue pour lui au piano, deviennent la pièce maîtresse de certains moments hautement érotiques du film. Ada ne semble pas sourciller le moindre du monde, lorsque Baines est allongé sur le sol se faufilant sous sa jupe pour toucher du doigt un trou dans son bas, ou lorsqu'il se promène complètement nue dans la pièce. Alors que ces scènes sont là pour canaliser la répression / libération sexuelle d’Ada et la nature animale de Baines, en réalité elles semblent souvent forcées, remplies de métaphores paresseuses et absurdes.
Comme beaucoup de films d’époque (1850), La Leçon de piano est magnifique. Le paysage n’est pas filmé à travers une lentille teintée de lumière et ne capture pas non plus une faune colorée (ce à quoi on s’attendrait d'un Terence Malick par exemple), mais est gris, humide et boueux. Comme Picnic at Hanging Rock et Gallipoli de Peter Weir, il y a une certaine tristesse qui ressort de cette photographie du film et de ce paysage à perte de vue. Il y a aussi cette sensation de vécu et d'épuisement, avec le beau visage fantomatique d'Holly Hunter, évoquant une photographie du siècle passé, où tout le monde a l’air pâle et triste.
Le casting est parfait. Holly Hunter et Anna Paquin Paquin méritent bien sûr toutes les éloges, mais Sam Neill et Harvey Keitel ne sont pas en reste. Sam Neill ne joue pas du tout le le bad guy de service, au contraire il se dégage de lui une certaine maladresse et une certaine sensibilité ... jusqu'au moment où la colère l'emporte sur tout. Harvey Keitel impose une présence redoutable. Alors certes, encore une fois il se met à nue (cf. Bad Lieutenant sorti la même année) et je ne mentionnerai pas son accent italo-américain très prononcé (déjà gênant dans Les Duellistes de Ridley Scott), mais toujours est-il qu'il fait ressentir sa présence sur chaque plan.
Il est indéniable que La Leçon de piano est un film très personnel, ce qui est à mettre au crédit de la réalisatrice Jane Campion, mais trop souvent, le film semble s’efforcer d’instaurer cette atmosphère mystique, plutôt que de la capturer simplement, se perdant parfois dans l’adoration évidente de Campion pour ses personnages et ses acteurs (7.5/10).