En 1993, la "Leçon de Piano" avait tout de l'OVNI surgissant dans le ciel du cinéma mondial, venu des antipodes, tant géographiquement qu'émotionnellement : un vrai film féminin, qui ne sacrifiait en rien aux codes du cinéma mainstream, et qui faisait naître un univers tout entier de sentiments inédits. Certes, son scénario portait en lui d'indiscutables éléments de romantisme victorien, dissimulant un érotisme intense derrière la peur, le mystère et l'exotisme des situations, et la musique - qui a mal vieilli - de Michael Nyman avait quelque chose de superfétatoire. Heureusement, "The Piano" était avant tout radicalement moderne dans son discours : loin d'être une victime, son héroïne muette savait visiblement analyser les situations et y répondre pour en triompher. Alignant les scènes réellement magiques, bouleversantes, parfois miraculeuses d'intelligence et de douleur, Jane Campion nous montrait la naissance (la renaissance ?) au monde d'une femme dévorée par la vie et la passion, bousculant sans commune mesure l’ordre établi. 25 ans plus tard, le spectateur n'a toujours pas d'autre choix que de se laisser emporter, tantôt bercé, tantôt bousculé par la poésie grave de cette "Leçon de Piano", qui bénéficie en outre de l'extraordinaire interprétation de ses quatre acteurs principaux, emportant le film vers un trouble assez radical. On sait malheureusement que le cinéma de Jane Campion ne retrouvera plus ensuite la même grandeur tellurique, même si le récent "Top of the Lake" nous a redonné quelque espoir. [Critique écrite en 1993 et 2000, remise en forme en 2017]