Le premier film d’Akira Kurosawa, en dépit du grand succès qui l’accompagne, peine dans un premier temps à s’imposer : amputé par la censure, d’une durée de 1h15, il pourrait n’être vu que dans une perspective encyclopédiste pour qui voudrait connaitre le maitre japonais à ses débuts. Elliptique (forcément, et à son insu), un brin superficiel dans ses portraits, il est tout de même judicieux de lui accorder le regard qu’il mérite.
Le récit ne cesse de jouer sur la dualité et les parcours en demi-tour. Associé à une bande, le protagoniste rejoint le camp adverse. Partisan du jujitsu, il devient le champion d’une nouvelle discipline, plus jeune et mal vue, le judo. En face du maitre vénéré, il se distingue par sa fougue et son immaturité, et tombe amoureux de la fille de son adversaire. Les voies retorses de son initiation sont certes bien rapides, elles établissent un dédale qui, comme on le verra dans toute la tradition des films à venir sur les arts martiaux, mêlent accomplissement personnel et philosophie universelle.
Au-delà de la dimension humaine, le film vaut surtout pour certaines séquences qui posent clairement les jalons du grand cinéma à venir. Une bataille dans la neige, l’omniprésence de l’eau (dans laquelle on jette les ennemis, mais aussi où se plonge le disciple pour se mortifier et méditer face à un nénuphar lumineux une nuit durant) et des combats d’une grande précision attestent d’une maitrise incontestable. Cadrage, poursuite des regards d’une foule qui converge vers l’assaillant jeté sur les parois, le regard est profondément dynamique et s’oppose aux plans fixes des visages, notamment celui de la dulcinée qui ébranle le protagoniste.
La dernière séquence fera oublier bien des réserves, tant elle récompense le spectateur. Duel à mort dans les herbes hautes, éclairées avec virtuosité, ondulant dans un scintillement plus proche de l’Ordet de Dreyer que de la luxuriance de l’Onibaba de Shindo, cet affrontement sublime élève le film vers les cimes d’un cinéma qui devra désormais compter avec son jeune auteur.

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Sergent_Pepper
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le 6 janv. 2015

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