C'est étrange de remarquer qu'un film réalisé en 1937 visant plus particulièrement à dénoncer une mouvance xénophobe ancrée aux Etats-Unis peut encore avoir une résonance presque un siècle plus tard...
Archie Mayo et Michael Curtiz (non crédité) nous proposent un film militant dénonçant avec force le danger que représente le développement du Ku Klux Klan (pourtant interdit depuis 1928). L'interdiction de projection dont le film a fait l'objet aux Etats-Unis ainsi qu'en Europe est d'autant plus curieuse que le KKK était alors en perte de vitesse. C'est sûrement la dénonciation de l'antisémitisme qui a peut-être davantage motivé la censure en Europe à l'époque.
Franck Tyler est un ouvrier américain type mâle alpha qui voit la promotion qu'il attendait depuis des années lui échapper au profit d'un autre employé d'origine polonaise. Le choix de la direction est pourtant logique puisque le fils d'immigré polonais ne se contente pas d'écouter la radio sur le temps de midi mais au contraire étudie les économies que l'entreprise pourrait effectuer. Jusqu'ici, rien de bien extraordinaire. Toutefois, frustré de ne pas pouvoir montrer à ses voisins qu'il conduit une plus grosse voiture qu'eux et incapable (comme la très grande majorité des êtres humains) de se remettre en cause, Franck préfère enfiler une chemise de nuit pour terroriser les immigrés du comté.
Bref, Black legion est l'histoire d'un pauvre type incapable de réfléchir par lui-même et qui sous prétexte de vouloir défendre sa famille d'une menace fantasmée, va commettre l'irréparable. En regardant ce film, on se dit d'ailleurs que la bêtise humaine mérite vraiment d'être combattue et que ce n'est pas parce qu'on a en face de soi un "bon père de famille" effrayé à l'idée de perdre son petit boulot qu'il faut lui octroyer le droit de penser et dire n'importe quoi.
De manière un peu moins convaincante, Black legion démontre la finalité purement mercantile de ces mouvements xénophobes, avec des petits bourgeois calculant le soir les revenus des cotisations des membres et de la vente de revolvers.
Le film souffre d'une trop grande linéarité mais certaines scènes (notamment le serment de Franck Tyler ou encore la demande en mariage de Ed Jackson) sont particulièrement réussies. Humphrey Bogart n'est pas encore une star hollywoodienne mais on aperçoit déjà les raisons de son succès futur.
Si Michael Curtiz n'est pas crédité à la réalisation, la présence de ce film dans sa filmographie vient semer le trouble sur sa véritable pensée politique. Voir Black legion en 1937 dénonçant sans ambiguïté le racisme et la xénophobie puis observer la caricature raciste qui est faite de la femme noire en 1945 dans Mildred Pierce laisse tout de même perplexe...