Enfermer William Wyler dans son son habit de réalisateur de grandes fresques hollywoodiennes est une tentation facile lorsque l'on parcourt la filmo du bonhomme avec l'œil réducteur de celui qui cherche à ancrer son œuvre dans une tendance et une époque. Le natif de Mulhouse en Allemagne (!??) -nous sommes alors en 1902-, est certes l'auteur d'épopées épiques et inoubliables "Ben Hur", "Les Plus belles années de notre vie", mais il a également commis quelques essais plus intimistes tout aussi brillants, on pense notamment aux chefs d'œuvres que sont "L'héritière" ou "La rumeur".


Pourtant, il surprend et confirme plus encore son statut de grand réalisateur, qui lui fut contesté dans les cahiers du cinéma par les représentants de la nouvelle vague (qui ont quand même écrit un bon paquet de conneries...), lors de ses rares incursions dans le cinéma de genre : le western, le thriller ou comme ici dans le film noir où il arrive à créer une tension permanente par une mise en scène et un éclairage étourdissants (mention particulière au chef op Tony Gaudio) .

La scène d'ouverture de "The letter" considérée par certains comme le plus beau plan de l'histoire du cinéma( https://www.cinematheque.fr/article/1209.html), long travelling d'abord vertical puis horizontal s'achevant sur une Bette Davis en furie qui achève ,elle un homme probablement indélicat avec une arme à feu, donne immédiatement la ton qui gouvernera un métrage, à la fois modèle d'élégance esthétique et quintessence du film mystérieux.


Adaptant, avec Howard Koch, scénariste de Casablanca, la pièce mélodramatique de Somerset Maugham, Wyler en conserve toute la dimension tragique, mais lui confère dès les premières scènes une ambiance de film noir, poisseuse, oppressante, car si le meurtre et son auteur ne font aucun doute dès l'ouverture, reste à déterminer le mobile, les circonstances, et à l'évidence, l'affaire est plus trouble qu'il n'y parait. Leslie femme d'un riche planteur de caoutchouc aperçue dans la scène initiale, apparait comme la victime d'une tentative de viol d"'un ami de son mari", mais, il est bientôt question d'une lettre détenue par la femme de l'assassiné, qui pourrait mettre à mal la défense de l'accusée soutenue par un avocat également ami de la famille.


La suite appartient à la légende, relève de la magie de l'âge d'or hollywoodien, où par la grâce d'un magicien, un scénario presque banal devient un objet captivant, où le cadre le plus anodin révèle le talent immense d'une star, où la caméra s'attarde juste le temps nécessaire pour capturer un regard, immortaliser un visage inoubliable. Ce visage c'est évidemment celui de Bette Davis, fascinante, équivoque, actrice à son apogée qui éclipse tous ses partenaires masculins.

Le récit peut dès lors s'étirer, un peu trop peut-être, l'essentiel n'est plus là, "La lettre" est devenu une confrontation, une sorte de duel, pas entre Leslie et ses accusateurs, mais entre l'actrice et son metteur en scène. Lui, ou plutôt sa caméra toujours envouté par l'aura étrange émanant de son ancienne amoureuse, elle cherchant toujours à éblouir, ses grands yeux hypnotisant son directeur et le spectateur. Ainsi était Hollywood à l'époque, univers fascinant de l'Entertainment, du talent, de la beauté...

Yoshii
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le 13 mai 2024

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Yoshii

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