Du haut de la colline, bien heureux celui qui décèlera le bien du mal. Dans les hautes herbes souillées par l’appas du gain de l’homme, les tirs sont fuyants, les pleurs commencent à jaillir, les cris s’écharpent dans un fracas se décomposant comme les cadavres laissés au gré des fumées. La nature est là, ne bouge pas, ne juge pas, est impuissance devant l’horreur conquise par une humanité désintégrée par la chair et le sang. Qui sommes-nous pour prendre la vie ou la propriété d’une antre paradisiaque quelconque? Où est le but de tout cela ? Pourquoi ne pas profiter de ce que la nature nous apporte ? Notre sentence ne serait-elle pas la pénitence ?
Terrence Malick, au vague à l’âme dépressif, signe là un testament, un chant du cygne du marasme de l’humanité. Avec sa science de l’image naturaliste éblouissante de beauté et ses confessions en voix off, sa volonté n’est pas de dénoncer la guerre. La ligne rouge est un long métrage sur le doute qui nous habite, qui nous consume, qui ne sait pas où nous guider. Malgré son casting de haut standing, Terrence Malick ne tombe pas dans la surenchère spectaculaire. L’enjeu ne se trouve pas dans la conquête ni dans la victoire, ni dans la dévotion à cette violence accablante, il se cache dans l’intimité du cœur de chacun de nous.
Le propos se dévisage de lui-même, et derrière une humilité spirituelle désarmante, Terrence Malick convoque la réflexion sur la place de notre espèce et la petitesse de l’homme dans son universalité grandissante. Il touche au plus profond de l’homme pour essayer de recueillir les émois du démon qui sommeille en nous et prend place sans que l’on sache pourquoi. Il donne la parole à ses hommes qui se dévouent pour la gloire ou la solidarité, pour la paix ou la guerre. Entre l’étourdissement des uns et la haine des autres, pourquoi avancer dans le peur et l’indécision, pourquoi se cacher dans une nature qui pourrait nous appartenir à tous.
La ligne rouge est un film de genre : celui de la guerre, avec ses séquences épiques explosives, son rythme sans relâche, ses tactiques militaires et ces hommes munis d’un casque et d’une arme affrontant la mort, loin de chez eux, loin de l’être aimé. Au lieu de tenir la main de leur famille, ses hommes tiennent le visage ensanglanté de leurs frères d’armes. Alors où est la reconnaissance, la bravoure dans tout ce chaos ? La guerre du Pacifique, les américains contre les japonais. La main sur le cœur et les yeux tournés vers le ciel, le réalisateur fait parler les âmes qui s’éclaboussent contre les vagues bouleversantes. Qu’est-ce que la ligne rouge ? Une frontière étroite entre la vie et la mort, la conscience et la morale, la chair et l’esprit, le sang et les larmes, l’âme et le corps.