" Il les a tuées avec leur amour. C'est comme ça tous les jours. Partout dans le monde entier. "
Ce film m'a broyé le cœur. Il l'a pressé, compressé, comprimé autant que Le tombeau des lucioles, il l'a retourné autant que La Liste de Schindler, il l'a arraché autant que Là-haut.
Passée la masturbation lacrymale de l'éponge que pourtant je ne suis pas sur la charge émotionnelle de ce pavé, on se rend compte que n'est pas extrêmement clair, et que le propos finit noyé par la puissance des images, de l'évocation et de la monstration à la fois, enlevant au spectateur toute possibilité d'objectivité.
L'objectivité. Les gardiens en ont-ils ? Les bourreaux qui mettent fin à leur carrière et finissent immortels en ont-ils ? Les bourreaux débutants, gosses de riches puants de la pire espèce, en ont-ils ? Les détenus en ont-ils, et ceux qui assistent à leur exécution publique ? Le spectateur d'œuvre d'art en a-t-il ? Non. Tant mieux.
C'est le seul propos du film, loin de tout message sur " la peine de mort c'est pas bien ayayaya sauf pour les gentils cathos et les méchants nazis ". Le film ne dit rien. Il montre. Quand John révèle la vérité par sa pénultième poignée de main, a-t-il besoin de parler ? Quand les gardiens se vengent sur Percy au nom de l'amour de l'humanité, ont-ils besoin de trop parler ? Quand Edouard Delacroix meurt sur la croix électrique, a-t-il besoin de parler ? Non. Le film montre au lieu de dire, il est dans l'action plus que le commentaire ; le plan où Paul lit le prétendu rapport sur Coffey ne nous montre pas ce qu'il lit, mais ce qui a été fait — ce qui a été vu, en tout cas. Tous les détenus sont sur une ligne, ligne suivie jusqu'au bout, jusqu'aux 108 de la vie du gardien et même après ; le monde entier est au même niveau, des gens meurent, des gens sont tués, des gens vivent à la place d'autres et meurent à la place d'autre ; " c'est comme ça tous les jours, partout dans le monde entier ". La ligne verte est aussi inutilement un film sur la peine de mort que Requiem for a Dream l'est sur la drogue, que La vie est belle l'est sur la Shoah ; sur la même longue ligne verte sans fin où la lumière finir par se mourir, La ligne verte est autant un film sur la vie, sur l'enfance, sur le viol, sur la prison et les étoiles, sur la saleté, sur l'électricité dans la première moitié du vingtième siècle, sur les tumeurs au cerveau et sur les fuites urinaires. Et croyez-en un mec qui a eu des infections urinaires pendant la totalité de son enfance, on ressent autant d'empathie pour la souris écrasée que pour la bite du mec qui les trois quarts du temps pisse des hallebardes.
La ligne verte montre des vies dont on ne connaît pas le penser ; personne ne songe qu'il y a sur ces chaises des anciens enfants en train de mourir, des gosses qui se sont amusés, des hommes qui ont ri, et qui, à leur dernier instants, ne voient que le noir dans une salle glauque et n'entendent que le mépris d'un public qui veut les voir crever la gueule ouverte et leur soutirer un pardon. Claque pour nous donner à voir en pleine gueule le peu de choses que nous sommes dans ce monde qui tourne, La ligne verte finit quand même par nous parler directement dans une adresse qui n'est absolument subtile, et dans un monologue moraliste qui rompt avec la force de la monstration du film. Il n'empêche que c'est vrai, et qu'appliqué au personne, cette réflexion finale a du sens. Vivre pour expier. Vivre pour avoir tué. Vivre pour n'avoir pas pu mourir.
Leçon de dramaturgie également ; durant les trois heures du film, absolument tout revient. Tous les détails sont réunis sous le prisme de John Coffey, le personnage central, sans pour autant qu'on s'y attende. Du film rouge qu'est l'immortel Mr. Jingles qui court au long de la ligne verte, ou le film à la télé de la maison de retraite et au cinéma de John, sorte d'Enfants du paradis du pauvre, plus les liens entre les éléments sont dilatés, plus on se les prend en pleine gueule en leur redonnant tout leur sens et leur puissance. Cinématographiquement, là où le film perd beaucoup, et bien c'est qu'il est dans la réalité et pas vraiment dedans. John rejette des espèces de trucs qu'on dirait La Momie, il fait tout briller aux étoiles, et son impressionnante présence physique s'avère gâchée par ces pouvoirs surnaturels. On se demande comment il est possible de s'attacher à cette sorte de héros surnaturel touché par la grâce, au milieu de plein d'autres criminels bien réels, eux, dans leur sang, leur sueur, leur pisse, leur vomi, leur merde. Aucune merde, chez John. Jusque une énigme, une force de la nature, un sourire, un amour.
Ce film c'est de l'amour de l'humanité, de la leçon de cohérence dramaturgique, de la purée de cœur, un forceps pour nous ouvrir les yeux sur chacune des milliards de vies humaines qui naissent et qui meurent dans ce monde qui tourne, et un mec qui pisse des hallebardes par paquets de douze.