Le fantôme du passé
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le 28 janv. 2020
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Aujourd’hui, changeons de continent, pour nous aventurer dans un cinéma que l’on aborde très peu souvent : le cinéma guatémaltèque. Jayro Bustamante est un cinéaste dont la réputation va grandissant, après avoir été salué à la Berlinale 2015 grâce à son premier long-métrage, Ixcanul, et après avoir obtenu un certain succès critique avec Tremblements. Le voici qui revient avec La Llorona, nouvelle réflexion sur son pays et son histoire.
Ici, nous faisons connaissance avec la famille d’un général accusé d’avoir activement participé au génocide qui a frappé le pays et engendré la mort de dizaines de milliers de personnes habitant la montagne (principalement des descendants des Mayas) au début des années 80. Affaibli et grabataire, le vieil homme fait face au procès qui doit le juger, jusqu’à ce que sa culpabilité soit prononcée, à la joie du peuple qui voit enfin l’une des figures de l’horreur condamnées pour ses crimes. Mais sa santé décline, et, alors qu’il doit séjourner à l’hôpital, la décision du tribunal est soudainement annulée, menant à un mouvement de contestation émanant du peuple, se rendant devant la demeure de l’ancien général, assigné à résidence, auprès de sa famille qui l’accompagne. Avec sa femme, sa fille et sa petite-fille, il doit faire face à ses démons, qui viennent le hanter, et qui vont également affecter son entourage.
La Llorona débute comme un thriller politique, en cherchant à installer une ambiance pesante, nous enfermant dans cette grande demeure que nous allons explorer une première fois lors d’une terreur nocturne où le général se trouve à arpenter les couloirs et la maison à la recherche d’une femme dont il entend les pleurs au loin. Toute la première partie du film se trouve être plus source de questions que de réponses, nous présentant le contexte de l’histoire et les personnages principaux, semant le doute et nous confrontant à des mystères. Rapidement, ce qui semblait réel se teinte d’un imaginaire étrange, qui affecte notre propre perception des choses, et celle des personnages, embarquant l’intrigue historique dans un territoire peuplé de fantômes. Jayro Bustamante vient alors donner vie aux songes et aux cauchemars pour invoquer la mémoire d’un pays et d’une civilisation dans un parti-pris aussi surprenant qu’intéressant.
Le choix de réaliser un film plus « terre-à-terre » ne fut pas celui du cinéaste, à l’inverse de son compatriote César Diaz (primé à la Semaine de la Critique et lauréat de la Caméra d’or au Festival de Cannes) qui traite également du génocide guatémaltèque dans Nuestras Madres, qui sortira plus tard dans l’année. L’approche de Diaz, plus classique, fait tout de même preuve d’efficacité mais celle de Bustamante a pour elle la démarche de se distinguer en affichant une étiquette de cinéma de genre, pour dépasser le simple fait de raconter les choses. En murant la famille du général, en confondant réalité et imaginaire, le cinéaste plonge le spectateur dans une ambiance pesante et déstabilisante, qui le désoriente autant qu’il l’éclaire sur ce qui est arrivé pendant ces sombres années. Alma, la jeune domestique, devient l’incarnation de cette souffrance, dont le corps contient les esprits de tous ceux qui ont péri, et qui viennent hanter la conscience et la vie de ceux qui ont détruit leur monde pour des raisons futiles et égoïstes.
Sur le moment, La Llorona n’est pas un film toujours facile à suivre, exigeant une certaine patience de la part du spectateur. C’est un film qui pose ses plans et son cadre, laissant le spectateur s’en imprégner pour, petit à petit, saisir les clés qui le mèneront à la révélation et à la prise de conscience. La souffrance d’une famille, d’un peuple, d’un pays, d’une civilisation, trouvent écho dans l’ouïe de pleurs lointains, de musiques traditionnelles et de cauchemars, que La Llorona imprime pour que la mémoire ne s’estompe jamais, et que la voie de ceux qui périrent lors du « génocide silencieux » soit enfin entendue.
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le 1 févr. 2020
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