La course poursuite qui ouvre La Loi de Téhéran ne ménage pas d’introduction contextuelle : des portes fracassées à la fosse dans laquelle une petite frappe finit enterrée vivante, les rôles sont définis, le décor posé, et la tragédie formulée. De l’impuissance de la police, de la misère désespérée des criminels, et des inefficaces leçons de la cruauté.
Ce constat glacial se déroulera sur les 135 minutes suivantes, au fil d’une enquête sur le réseau de crack qui décime les populations à une vitesse incontrôlable. Saeed Roustayi prouve un véritable talent pour capturer les foules et saisir les espaces saturés de la misère, que ce soit dans les bidonvilles à ciel ouvert lors de la très impressionnante battue parmi les tuyaux de béton, les regroupements des prévenus dans les salles communes de la prison ou la dernière séquence sur l’autoroute. Les consommateurs sont des milliers, et les nasses permettent surtout de mesurer l’étendue du désastre face à une population livrée à elle-même.
Dans l’enquête à proprement parler, les séquences s’organisent autour de blocs dans lesquels le temps réel prime, et qui exacerbent les tensions : tous les partis sont à cran, et ce n’est que par le pire (le chantage, les tentatives de corruption, la violence) qu’on obtient des résultats. En résulte un regard froidement indigné sur une machine sociale qui dysfonctionne, une police à vif et une criminalité qui semble inévitable.
L’ambition d’un regard exhaustif grippe néanmoins un peu la mécanique : le scénario, très profus, donne le sentiment d’assister à une série resserrée en un long métrage, minée par un désir de faire circuler les forces dans toutes les directions. En un quart d’heure, un flic ripoux devient l’accusateur de son collègue qui finit lui-même au trou au milieu de ce ceux qu’il a arrêtés, et chaque personnage se voit affublé d’une histoire annexe (un remariage, une promotion, un enfant assassiné…) qui concentre tous les enjeux possibles en une compilation qui frôle l’indigestion.
Il en ira de même dans la ligne choisie en matière de démonstration. Il est évidemment tout à fait pertinent d’avoir souhaité renvoyer dos à dos les différents partis, et de refuser de sombrer dans le manichéisme. Mais on atteint ici une des limites qu’on trouve déjà dans l’écriture si ouvragée d’un comparse iranien, Asghar Farhadi : cette réversibilité constante qui mène le spectateur à comprendre les méthodes expéditives d’un flic, ou l’humanité d’un gros trafiquant dévoué à la réussite de sa famille. Le propos est souvent juste, mais mené un peu à l’extrême, de manière à appuyer une démonstration qui n’en exigeait peut-être pas tant.
Des réserves qui restent cependant minimes par rapport à la force qu’arrive à dégager le récit dans son ensemble, et particulièrement dans son épilogue. Après les péripéties et la parole, la puissance de l’image reprend ses droits, et c’est bien là que Roustayi est le plus pertinent : la gymnastique d’un enfant face à son oncle, les larmes d’un autre à côté de son père lui faisant porter le chapeau ; par le tableau effroyable d’une exécution quotidienne, et la reprise de la course sur une route bondée, sous une prise de vue aérienne où les candidats au cachot sont toujours aussi innombrables.