A l'éternelle question de savoir si la censure (et, d'une façon plus générale, la contrainte) est un facteur de créativité, La loi de Téhéran apporte une nouvelle confirmation éclatante. Une réponse qui s'appuie même sur un contre-point contemporain flagrant, puisqu'on peut estimer que le film de Saeed Roustayi est une sorte d'antithèse absolue de Bac Nord.
Bac Sud, du coup.
Alors que ce dernier appuie sans la moindre subtilité un message univoque prêtant au minimum à débat, La Loi de Téhéran multiplie ses messages complexes avec une subtilité retorse pour, mieux que n'importe quel film occidental de ces dernières années, dépeindre toute la complexité d'une société tendue par des extrêmes inconciliables.
Il y a d'abord cette simple remarque, déposée comme un cadeau empoisonné à tous les zélateurs d'un ordre implacable qui pensent benoîtement que la magie d'une peine de mort érigée en vertu cardinale d'un pouvoir fort ferait disparaître une majorité des délits importants d'un pays: quand Naser Khakzad commence à expliquer son mode de vie à Samad, le policier déterminé à mettre fin à ses activités, il glisse un succulent "à partir de 30 grammes, c'est la peine de mort. Donc autant risquer sa vie pour quelque chose…"
Il y a cette découverte concomitante que, dans un pays à la police et la justice toutes puissantes, les crimes semblent aussi répandus qu'ailleurs, que les quartiers pauvres recèlent les mêmes zones de non-droit que dans n'importe quelle démocratie familière, et que, dans des univers aussi séparés que peuvent les Etats-Unis, la France ou l'Iran, le dénominateur commun d'une majorité des entorses à la loi viennent de la pauvreté et le besoin incompressible de s'en sortir.
Ce n'est donc pas pour rien que le récit glisse doucement du portrait du flic à celui du malfrat, quand pour la première fois, ce dernier exprime une vérité d'abord plongée dans un océan de mensonges.
(Notons d'ailleurs qu'un moment très amusant survient quand un personnage demande au flic Samad pourquoi il mentirait alors même que jusque-là dans le film, tous les gens que ce dernier interroge pratiquent une dissimulation de la vérité systématique et ostentatoire)
C'est quand il parle de sa famille (qu'il a réellement souhaité aider, en plus de mener un train de vie fastueux) qu'il abaisse enfin la garde, comme en témoignent de manière poignante les dernières scènes du film. Il se confie quand il est trop tard, ne comprend le sens profond de ses choix que quand il sait que le système répressif de son pays a commencé à serrer sa mâchoire implacable et fatale sur son existence.
Un système qui transforme des flics en jouet aux mains des juges, soudaines marionnettes qu'un suspect peut retourner en une accusation désespérée, et qui ne peuvent alors retrouver leur statut de justiciers tout-puissants qu'au prix de nouvelles manipulations et mensonges. Un système encore plus corrompu qu'ailleurs, malgré sa rigueur d'apparence, qui permet à un père infirme et indigne de reporter sa peine sur un fils éploré, doublement condamné à une vie privée d’innocence. Un système odieux qui pend ses victimes à la chaîne, sans que jamais la rue n'en devienne plus sûre ou vertueuse.
Si toutes ces constatations avaient été formulées avec véhémence et en martelant son message, nul doute que nous n'aurions pas entendu parler d'un film qui n'aurait jamais franchi les frontières de son pays. Un film qui n'évoque pas une seule fois un dieu omniscient au nom duquel le pouvoir des hommes s'est arrogé tous les droits, mais qui n'en délivre pas moins un message universel.