J'ai abordé ce film en pensant qu'il s'agissait d'une critique du monde bancaire et des traders à cause du titre et du costard de Lindon sur l'affiche. Il n'en est rien. C'est l'avantage de ne pas regarder les bandes annonces ni lire les critiques avant de visionner un film, on arrive quasi vierge.
Quand je dis qu'il n'en est rien, je n'ai pas entièrement raison. Le marché et sa loi sont bien là, mais en filigrane. L'angle choisi est celui des ses conséquences ou comment un type ordinaire (Vincent Lindon) subit la loi du marché dès lors qu'il se retrouve hors des clous, c'est à dire au chômage.
Se succèdent recherches d'emploi, entretiens d'embauche négatifs, galères financières, bancaires, Pôle Emploi, formations, reconversion, pour arriver à accepter un boulot de merde où on devient le chien de garde d'une institution sacrée - le supermarché - pour la protéger des autres miséreux qui n'auront pas su ou pu s'adapter.
Le film est très réaliste, magistralement interprété, pour peu qu'on a pu vivre ou entendre des témoignages de gens qui ont vécu en partie ce genre d'épisodes. Il décrit sans fioriture la loi du marché, sa froideur, sa toute puissance, son absence totale de compassion.
Au nom de celle-ci, une entreprise pour des motifs fallacieux, vous jettera après des années de loyaux services. Vous pourrez toujours vous battre, mais il y a des chances que vous abandonniez un combat où même si vous gagnez, vous en sortirez épuisé moralement. La Loi du marché est plus puissante que la Loi du travail.
Sur le marché du travail, la concurrence est telle que le moindre détail vous relaye à la deuxième place pour un poste. Pôle emploi tente de corriger vos petits défauts, vous rediriger, vous reconvertir, car la Loi du marché dirige le marché du travail dans lequel se débat pôle emploi.
La banque, vous impose de vendre vos biens pour payer vos crédits, mais vous propose un crédit plus élevé si vous retrouvez une nouvelle source de revenu.
La loi du marché s'impose sur la valeur de vos biens. Mais l'acheteur vous sait pris à la gorge alors il tente de vous imposer sa propre loi du marché. Car la loi du marché est changeante selon que vous êtes faible ou fort.
C'est au supermarché que le summum est atteint. Un supermarché ne peut pas se permettre de perdre de l'argent. Les employés vigiles surveillent les clients voleurs. Quand ils se font attraper, ils payent. Mais les employés vigiles surveillent également les employées caissières. Une caissière qui récupère des bons de réductions abandonnés par les clients est aussi un voleur. Le vol de gratuit est dénoncé au superviseur, qui le rapporte au directeur et la caissière est sanctionnée par un renvoi immédiat. Quand l'entreprise veut licencier, il n'y a pas de seconde chance. Un renvoi, un suicide, et personne n'est responsable.
J'ai lu ici et là des commentaires critiquant ce concentré de misères, et cette exagération dans le misérabilisme serait que le couple a un fils handicapé. Je ne suis pas d'accord.
D'abord, parce que lorsque vous êtes au chômage, les galères ont une fâcheuse tendance à s'enchaîner, et le temps ne fait que les aggraver.
Ensuite, le jeune handicapé représente certes une difficulté pour le couple, mais c'est leur difficulté. Difficulté qui ne leur a été imposé par aucune autre loi que celle de la nature. A aucun moment ils ne s'en plaignent, ils se battent pour leur enfant et le regardent grandir avec amour et fierté, ils en sont heureux.
Ce n'est donc pas du misérabilisme qu'il fallait voir là, mais au contraire le fait que la loi du marché est bien plus dure et cruelle et qu'elle vous met face à des situations où vous pouvez perdre toute dignité et morale.
Parfois, sans vous en rendre compte tant elle vous a transformé.