Réalité. Mais pas celle de Quentin Dupieux. L’autre réalité. Et l’impact est rude, dès la première scène du film. Tous ceux qui ont à un moment de leur vie eut affaire à l’ANPE, maintenant Pôle Emploi, futur Job-center, se reconnaîtront sans peine dans cette scène. « J’ai déjà vécu ça ! » ouais. Le chômeur excédé qu’on le fasse tourner en rond, de stage en stage bidons, et l’agent du Pôle Emploi impuissant, dont le travail est de lui trouver un travail, alors qu’il n’y a pas de travail. Réalité. Toute l’absurdité du système, en moins de 5 minutes de dialogues. Monsieur tout le monde, Vincent Lindon, qui fait tout pour rester digne, et ne pas tout perdre. Le film c’est lui. La caméra est amoureuse de lui, tout le temps collé à lui. Et comme Lindon a beaucoup de métier, il en fait le moins possible. Il devient peu à peu invisible, or on ne voit que lui, il crève l’écran. Monsieur tout le monde devient vigile, par la force des choses, pour éviter la rue, pour lui et sa petite famille. Il faut bien manger…
Brizé a le talent pour simplifier les choses, et donner l’impression qu’il ne se passe rien d’important, alors que le film est extrêmement violent. Réalité. Il n’y a aucune violence physique à l’écran, pourtant on sent peu à peu les corps qui se plient, et cassent face à un ennemi invisible, et implacable. On pourrait l’appeler l’ordre, le système, la loi du marché, la mondialisation, on lui donne beaucoup de noms. On n’arrive jamais à le cerner cet ennemi. Ici, on montre la méthode, et ses conséquences. Caméra souvent fixe, les plans sont serrés. Les personnages ne sont jamais en communication d’humain à humain, mais tout le temps en négociation commerciale ; à parler, à se noter, se jauger, même pour les choses les plus banales. Avec souvent la voix off, du gars qui représente l’autorité de tutelle, qui compte les points. La scène où les parents sont convoqués par le proviseur du lycée, n’est pas anodine. Le gars parle de leur fils, mais uniquement en termes de résultats. Ce qu’il pense, le gamin, pourquoi ses notes chutent, son entourage, et la perte d’emploi du père qui bouleverse le ménage, la perte du logement, on n'en parle même pas, c'est pas important. On s’en fout, l’important c'est que les notes du gamin remontent et vite remontent. Vite, car la fin du trimestre approche. Et il risque de faire baisser la moyenne de la classe.
Et que penser de cet entretien d’embauche par Skype, (froide et impersonnelle), dont on connaît par avance le résultat ?
L’ancien syndicaliste militant est devenu maton, surveillant d’externat, agent de sécurité. Surveiller et punir. Et le supermarché, toujours en plans serré, ressemble vite à une cage. Les seuls moments où on s’élève, c’est quand on entre dans la salle de vidéo. On prend de la hauteur pour voir ce que filment toutes les caméras, et on a tous les rayons en travellings avant arrière. On surveille le client, et les autres employés aussi. "Tout le monde vole donc, attention !"
Ce petit vieux qui a volé une escalope.(?)Cette caissière qui a cachée des points bonus(?) Chaque scène nous met dans la positon de Lindon en uniforme, avec son badge, debout dans le magasin comme un I majuscule; n est dans la position du témoin privilégié. On ne le juge pas. Et moi je me demandais tout le temps, ce que j’aurais fait à sa place. Quand j’ai vu le DHR sortir de nulle part pour venir rassurer tout le monde après un suicide qu’on appelle dans son jargon : « accident », j’ai tout compris. J’ai d’abord crût voir Nicolas S. en campagne électorale. Fausse compassion et perversité intellectuelle, un cas d’école. Superbe scène. Celle dans l’église est pas mal non plus. No comment. No spoiler. Elle parle d’elle-même. En deux plans, tout est dit.
On voit comment les employés sont« naturellement » amenés à se surveiller les uns les autres. Par la force des choses…Très instructif, pour ceux qu’on n’ont jamais travaillé dans la grande distribution, à l’usine où ailleurs. Brizé a choisit de focaliser sur un homme seul, mais il parle de tous, ils sont tous dans le même panier. Très clair, très précis. Le monde du travail In situ. En contrepoint Lindon, qui devient de plus en plus rigide, jusqu’à la scène finale. Pourquoi a-t’il accepté ce job à la con ? Question idiote n’est-ce pas ? Pourquoi ils ont tous la tête baissée comme ça ? Pourquoi ne se rebellent-t’ils pas ?
Bonne question.