˗ Suivant ! Le numéro 363 ! Alors, voyons voir... Costume réglementaire, OK.


˗ Avec une cape.


˗ Avec une cape ? Et alors ?


˗ Et alors, la mienne, je l'ai développée moi-même et elle ne se coince pas partout.


˗ Mais c'est le minimum ! Tu veux avoir l'air con ou quoi ? C'est quoi ton nom ?


˗ Batman.


˗ Et c'est quoi ton super pouvoir ?


˗ Je suis riche...


˗ Ouais, bon, les blagues à deux balles, hein, on a déjà donné, merci. T'es de quelle écurie ?


˗ DC.


˗ Ah non ! Tu t'es trompé de crèmerie là, mon gars, le casting de la Justice League, c'est la semaine prochaine.


˗ Ah bon ? Bah OK, je reviendrai...


˗ La date pour le casting du prochain Terminator n'a pas encore été fixée, désolé... Suivant ! Numéro 364 ! Avance ! Bon, je vois que le costume, c'est OK, même si t'es un peu tout nu, mon gars. Et le vert, ça passe toujours bien, surtout chez les armoires normandes. Regarde le Géant Vert, tiens.


˗ Hulk ! Ecrase !


˗ Non, pas ici l'ami, Marvel, c'est juste en face, là...


˗ Hulk ! Ecrase !


˗ Ouais, bon, on n'est pas sorti de l'auberge avec celui-là... Suivant ! Numéro 365 ! Hola Hola ! C'est quoi ça ? Tu sais que tu as fait la queue pendant huit heures pour un casting de super héros, là ?


˗ Euh... Oui...


˗ Et tu crois qu'avec comment t'es taillé comme un rat mouillé et ton teint basané, quelqu'un viendra raquer pour voir ton film. C'est quoi, déjà ? La Lune de Jupiter ?... Et puis, regarde moi ça, on dirait que tu viens d'une décharge.


˗ Euh... Non... D'un camp de réfugiés plutôt. On m'a tiré dessus et normalement, je dois être un peu mort.


˗ Ah ! Tout s'explique... Surtout pour l'odeur et le non costume, là. Et qu'est ce que t'as de plus que les autres, toi, au juste ? T'as pas de collant flashy, t'as pas la vanne facile. Et t'as même pas la licence comics, qu'est ce que tu comptes faire avec tous ces handicaps ?


˗ Bah, avec La Lune de Jupiter, je compte prendre le thème du super héros pour le mettre sous l'éteignoir, le sortir de son ghetto action et l'emmener dans une autre direction.


˗ Ah ! La bonne bonne blague. c'est plus un film de super héros, alors !


˗ C'est quand même un migrant qui se joue des lois de la gravité. Comme Kornél Mundruczo se joue des genres qu'il emploie et qu'il aborde. Car La Lune de Jupiter est un film au final multiple et protéiforme, qui reprend des codes immédiatement identifiables pour se jouer d'eux et les inclure dans son film qui est shooté comme une vision désenchantée de notre monde. Exactement comme dans White God, d'ailleurs, qui était déjà formidable et puissant dans sa parabole.


˗ Et quoi ? Tu sauves le monde ? Tu balances des voitures ? Tu fais passer le grand méchant à travers les immeubles ?


˗ Bah, non. Je vole.


˗ C'est tout ?


˗ C'est tout. Je vole dans des plans séquences magiques, dont certains baignent dans un quasi onirisme poétique. Certains rappelleront la fulgurance de l'argument science fictionnel d'un film comme Les Fils de l'Homme, en opposition avec la caméra portée qui colle aux deux héros, tournant autour d'eux, littéralement, puis brusquement agitée, irriguée de toute l'urgence ou du désespoir de la situation. Comme ce plan séquence inaugural, immédiatement immersif et tétanisant, qui passe du groupe de migrants à l'individu pour le séparer et annoncer sa très proche condition d'orphelin. Le tout sous le malheur, la menace, l'inquiétude, et enfin, l'instinct de survie qui étrangle et brûle les poumons dans une course désespérée montée comme un travelling.


˗ Ouais, encore un truc de gauche bien pensant, comme Chez Nous, quoi !


˗ Non, au contraire, la situation de ces migrants n'est jamais assénée comme un prêt à penser moralisateur désignant le pas bien. La Lune de Jupiter utilise cette thématique pour la porter plus loin que le tire larmes obscène qu'il aurait pu être. Plus qu'un migrant, le protagoniste principal emprunte le pouvoir du super héros pour ensuite traduire le point de vue que porte son réalisateur sur la société hongroise, et par extension européenne, comme l'indique la référence du titre du film. Désenchanté, désabusé, l'oeil du cinéaste propose cependant un spectacle de très haute tenue. On sent que Kornél Mundruczo est animé d'une cinéphilie à ce point dévorante que sa générosité honore et fascine. Au carrefour d'Alfonso Cuaron, du thriller, du film de super héros, donc, et du Friedkin de French Connection le temps d'une séquence de poursuite proprement scotchante, La Lune de Jupiter transcende son argument de départ pour irriguer une parabole christique tout aussi crue que nimbée, par instant d'une certaine magie.


˗ Hola ! Encore un truc de poseur ça ?


˗ Si l'abus d'allégories sur signifiantes, déjà montré du doigt par certains, vous sort par les trous de nez, cessez de faire l'hypocrite et rematez-vous Mother ! pour vous convaincre que vous en trouverez beaucoup moins sur La Lune de Jupiter. Même si oui, quelques maladresses, quelques manichéismes se font parfois sentir. Même si quelques rares minutes auraient pu rester sur le sol de la salle de montage, oui. Mais le dernier bébé de Kornél Mundruczo, dans sa thématique religieuse incarnée et prégnante, dans son propos sur l'impossible intégration de celui que l'on perçoit comme un étranger, qu'il soit syrien, dieu ou super héros contemporain, ne pourra qu'enthousiasmer le spectateur un peu ouvert d'esprit, curieux d'un mélange des genres qui se révèle au final étonnamment cohérent. Et traitant l'anticipation avec une étrange sensation d'actualité, de proximité, d'humanité fragile, plurielle et contradictoire.


˗ C'est pas un film de super héros, donc...


˗ Bah... Pas tout à fait, non.


˗ OK... Suivant !


Behind_♫ Le bon Dieu est un Syrien ♪_the_Mask.

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le 11 nov. 2017

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