Il fallait beaucoup d’audace pour aborder la crise migratoire que traverse l’Europe par le biais d’un nouveau Christ flottant dans les airs et que remarquent des témoins isolés qui sont autant d’apôtres, un martyr jusqu’alors invisible parce que noyé dans la masse de ses semblables et tiré comme une bête sauvage qui vient à sortir de l’ombre pour gagner la lumière, le plein jour. Il est parabole, il est allégorie d’un aveuglement partagé par des citoyens dépourvus de la moindre compassion, trop occupés à manigancer dans leur coin ou à s’enrichir de ladite crise. Le monde dépeint par Jupiter Holdja est une vaste Babylone que la caméra sillonne embarquée à l’avant d’une voiture ou sur un drone, intérieure et extérieure à la fois, omnisciente en somme, dont les mouvements, fluides et amples, entrent et sortent, sautent d’un étage à l’autre sans transition aucune. Une Babylone gangrenée par la corruption, l’alcoolisme et la violence, portrait au vitriol de la société hongroise contemporaine dans laquelle erre l’innocence incarnée, le Fils qu’un père de substitution – le docteur Stern, comprenons « étoile » – tente de sauver pour se sauver et obtenir la rémission de ses péchés.


La partition magnifique que compose Jed Kurzel est à l’image du long métrage : messianique, sacrée, transcendée par une projection dans un au-delà qui gouverne d’ailleurs l’entièreté du geste artistique de Kornél Mundruczó, soit un acte de foi placé en l’humain dont la finitude intrinsèque à sa condition de mortel est contrebalancée par son besoin de créer de l’infini. Deux styles cohabitent ici : la brutalité d’une caméra à l’épaule qui suit les personnages et révèle la réalité telle qu’elle est ; l’onirisme des séquences de vol, comme autant de rêves envoûtants que l’on croirait éternels. L’articulation de ces styles différents donne lieu à une œuvre double et unique à la fois, fantastique du fait de l’irruption du surnaturel dans le naturel, qui se saisit des clichés pour mieux les retourner : le migrant devient un être chez lui partout, ayant élu domicile dans le ciel et contemplant une foule en agitation perpétuelle, tel le spectateur d’un monde que lui affronte et absout, contre le décompte du jeu de cache-cache auquel se livre l’enfant, les mains devant les yeux, aveugle devant la vie. Immense.

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le 21 nov. 2020

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