C'est à ce jour le plus vieux film de Capra que j'ai vu, son quatrième long-métrage en 1928, et probablement l'un des moins passionnants. L'intrigue de "That Certain Thing" est rachitique, exploitant le filon de la "gold digger romance", c'est-à-dire une femme à la recherche d'un homme riche qui la sortira de sa misère. Ici tout est taillé à la serpe, les lignes scénaristiques sont très rudes, les caractérisations très grossières : une jeune femme attend son prince charmant, tombe par hasard sur le fils d'un riche industriel, ils frôlent ensemble le cauchemar après avoir passé des premiers moments idylliques, et tout est bien qui finit bien — l'espoir et a naïveté à la Capra, très reconnaissable.
Les ficelles de la comédie romantique sont assez peu fines, et il faut quand même beaucoup de tolérance vis-à-vis des codes du muet pour trouver un intérêt saillant aux péripéties — on oublierait presque que 1928 c'est l'année qui a vu sortir "La Foule" de Vidor, "La Passion de Jeanne d'Arc" de Dreyer, "La Chute de la maison Usher" de Epstein, "L'Ange de la rue" de Borzage, "Le Vent" de Sjöström, et plein d'autres merveilles. Aucune aspérité à l'horizon dans "La Madone des sandwiches" (très élégant, ce titre français...), on saute d'une situation à l'autre sans anicroche, la pauvre femme désœuvrée tape directement dans l'œil de l'homme correspondant exactement à ce qu'elle recherchait, conte de fées sur conte de fées (vraiment le début du film, c'est "Anora" dans le moule de "New York-Miami"), puis le couperet attendu tombera : le père désapprouve l'union et le mariage, renie sa progéniture. Il y a tout juste cette dernière scène qui sauve un peu la mise, les deux amants qui inventent un stratagème pour berner le père en le prenant à son appétit pour l'investissement capitaliste, mais ici aussi, une fois passée la surprise du piège à teneur comique (du bluff autour d'une société de sandwichs qui concurrence les restaurants du patriarche), on retombe dans les travers des résolutions faciles et naïves — sans sourciller, on vient d'avouer l'arnaque mais tout rentre quand même dans l'ordre, pas rancunier le père.
Et comme les thèmes-clichés de Capra ne m'intéressent pas des masses, ni la comédie ni la romance ne m'émeut particulièrement. D'un côté les amants qui se rencontrent au-delà de leurs conditions sociales extrêmes et opposées (oh que c'est mignon), de l'autre la morale de l'argent qui ne fait pas le bonheur (oh que c'est perspicace). En prime, le récit d'apprentissage optimiste s'étend au cas du riche industriel sans cœur puisqu'il redevient humain et aimant à la fin, devant la preuve des compétences de la jeune femme en gestion des affaires — elle oppose le "Gotta cut the ham thick" généreux au "Gotta cut the ham thin" radin.