On aurait tous bien besoin d'un petit coup de main
Composer avec le fantastique en restant le plus sérieux du monde est une prouesse délicate. Le genre est généralement bien souvent accompagné d'un second degré qui permet quelques incartades burlesques, destinées à détendre l'atmosphère inquiétante que laisse généralement sur son passage la main du diable, lorsque lui est donnée la possibilité de s'exprimer. Maurice Tourneur fait, lui, le pari de traiter son film sans le justifier d'un second degré accessoire. Il s'autorise bien quelques inserts comiques au moyen de scénettes amusantes de la vie quotidienne, mais cela reste anecdotique.
Ce qui l'intéresse avant tout en revisitant le mythe de Faust, c'est ce sentiment humain bien particulier qu'est la soif de pouvoir. Ou comment un homme est prêt à perdre son intégrité pour pouvoir goûter, l'espace d'un instant, à la gloire et ce qu'elle représente. Argent, reconnaissance et amour, même si ce dernier n'est qu'intéressé. Le tableau peint par Tourneur dans la main du diable est bien sombre, toute sa première partie baigne dans une obscurité peu flatteuse, où les faux semblants règnent en maître, où les principes sont mis au placard pour goûter un moment à cette tendresse que la vie réserve aux mieux lotis.
Ce n'est finalement que lorsque ce peintre manqué, devenu brillant par tricherie, comprend que le bonheur éphémère qu'il vient de connaître, lui coûtera le prix fort, que Tourneur lui laisse entrevoir une once d'espoir. Entrent alors en scène des sentiments humains plus nobles, comme l’empathie que lui portera un groupe d'inconnus touché par son histoire peu banale ou l’élan de solidarité (un peu intéressée j'en conviens) qu’auront d'anciennes victimes à son égard. La séquence marquante du film, dans laquelle Tourneur et son équipe laissent parler toute l’étendue de leur fougue créative, lors de jeux d’ombres subtiles, à l'occasion desquels se mixent les possibilités visuelles, pour générer des plans d'un pittoresque à toute épreuve. Même si ce laisser-aller graphique déséquilibre complètement le film -le reste de la bobine est loin d’être du même niveau plastique-, il lui permet de s'inviter avec force dans nos souvenirs.
La main du diable est une jolie proposition fantastique, qui prouve aux sceptiques qu'il est bien possible de proposer ce genre de film sans verser dans l'exagération. Une main dans une boite, un jeu d'acteur contenu -très bon Pierre Fresnay- et un joli savoir-faire plastique rendent l'exercice possible. Dommage toutefois que ces atouts flamboyants ne soient présents que par fulgurance à l’écran et que certains seconds rôles un peu forcés (ce chef italien à l’accent insupportable par exemple) plombent quelque peu les intentions initiales de Maurice Tourneur, en attirant dangereusement le film vers cette caricature qu’il souhaitait pourtant éviter.