Nous sommes au Japon en 1936. Taki quitte sa campagne natale pour travailler comme bonne dans une petite maison bourgeoise en banlieue de Tokyo. C’est le paisible foyer de Tokiko, son mari Masaki et leur fils de 6 ans. Mais quand Ikatura, le nouveau collègue de Masaki qui travaille dans l'industrie du jouet, entre dans leurs vies, Tokiko est irrésistiblement attirée par ce jeune homme beau, sentimental et délicat, et Taki devient le témoin de leur amour clandestin. Alors que la guerre éclate, elle devra prendre une terrible décision. Soixante ans plus tard, à la mort de Taki, son petit neveu Takeshi, qui l'a incitée à rédiger ses mémoires, trouve dans ses affaires une enveloppe scellée qui contient une lettre. Il découvre alors la vérité sur ce secret si longtemps gardé.
Avec son style épuré, principalement composé de plans fixes et de flash-backs, « La Maison au toit rouge » dépeint avec intelligence et sensibilité une tranche de vie au travers des affres de l’Histoire avec un grand H et instaure une merveilleuse atmosphère intimiste. Le choix de la couleur rouge n’est pas neutre pour la simple raison qu’elle tranche volontairement sur le décor monochrome si courant dans les années 1930 et symbolise la transgression que s’apprête à vivre une famille classique dans le Japon d’alors. D’autre part, au cœur de cette société figée dans ses codes sociaux et familiaux immuables, le rouge écarlate se démarque par sa connotation de richesse, d’abondance et exprime la passion soudaine qui s’empare d’une jeune femme d’une grande beauté tenue dans les étroites frontières du domicile conjugal et de la vie domestique. Enfin le rouge est là pour marquer les effroyables événements qui se préparent : la guerre et les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, enfin les bombardements de Tokyo durant lesquels la famille disparaîtra. C’est donc la couleur du sang et de la mort après celle de la passion.
Le réalisateur, Yoji Yamada (La Servante et le samouraï), filme cette vie familiale discrète d’une caméra délicate et avec une grande justesse de ton, privilégiant le hors champ afin de souligner l’adultère et l’expression physique des sentiments. Grâce à ce procédé, le voyeurisme de la servante s’exprime avec la pudeur nécessaire sans que rien ne soit gommé de son intensité de témoin confiné dans l’ombre. Cette construction narrative est en parfaite adéquation avec le sujet : une vie close sur elle-même et déjà ouverte aux affres d’un monde en pleine mutation, à la croisée des chemins entre passé et avenir. Et ce n’est pas tellement l’histoire d’amour d’un artiste en sursis de guerre et d’une jeune épouse insatisfaite que nous conte le réalisateur, mais tout autant celle d’une servante qui devient adulte et de témoin passif s’immisce dans l’histoire interdite qui se déroule sous ses yeux, au point de s’opposer à sa conclusion.
Il y a aussi le rôle de l’enfant qui tient une place importante dans cette construction, puisqu’à la fin il sera le dépositaire d’un secret qui a hanté toute la vie de la servante Taki. Je n’en dirai pas plus, mais ce film est un chant douloureux et pudique d’une tranche d’histoire très joliment traduite en images, cela avec sobriété et une lenteur qui fixe les traits de chacun des personnages de façon captivante. (1)