En regardant ce soir ce film sur France O (une des rares chaînes ne charcutant pas les films par d'interminables écrans pub) j'en suis arrivée à implorer les bonnes fées de la télé pour qu'apparaisse à l'écran une bonne, vieille, grosse et indigeste page de publicité... C'est dire mon désarroi, mon dépit, ma frustration...
Je précise, tout de suite, que je tiens un film tel que "Autant en emporte le vent" pour un vrai bon moment de cinéma. Un film qui m'a donné envie (à 13 ans) de lire le livre de Mitchell. Je ne suis donc pas réfractaire au romanesque, à la passion et aux grandes fresques familiales ou humaines. Les guerres, les révolutions, les sentiments exacerbés et surtout le fantastique et le merveilleux me fascinent.
Cette mise au point faite, revenons à cette "Maison aux esprits". En regardant ce film une 1ère chose m'a frappé : pourquoi avoir décliné cette histoire dans le format long métrage ? Les 2h30 s'avèrent d'emblée trop courtes pour les ambitions annoncées. La voix off de la fille d'un des personnages principaux (enfant au début du film) prévient : vous allez assister à une grande et bouleversante fresque familiale.
Mais n'est pas Fleming qui veut. Ici, pour le même résultat, il aurait fallu opter pour un format série TV en 8 ou 10 épisodes de 50mn (du type série de l'été - format qui sait parfois être de très belle qualité). Il aurait fallu aussi que le scénario se concentre sur un fil conducteur plus clair (un personnage, un lieu, un objet, etc) et mieux organiser les éléments en provenance du matériaux de départ qu'est le roman.
Voilà pourquoi, en ne voulant renoncer à rien (ou presque), ce film finit par devenir un grand truc mou et chiant (osons le dire).
Oui, c'est chiant à mourir.
C'est chiant, comme Meryl Streep (que j'adore) qui joue ici les jeunes filles évanescentes de 20 ans alors qu'elle en a le double. Idem pour Jeremy Irons qui aurait pu bénéficier d'une doublure pour la première demie heure du film.** Pourquoi à ce tarif là (poussons l'absurde à son terme) ne pas avoir fait interpréter le personnage de Clara à 10 ans par Meryl Streep agée de 45 ans au moment du tournage ? Même si j'admire l'actrice, qui fait merveille lorsque le personnage vieillit, la production aurait pu caster une jeune actrice de 20/25 ans pour jouer les quelques scènes d'avant le mariage jusqu'à la naissance de Blanca.
C'est chiant parce que Winona Rider, translucide, est sensée incarner le personnage clef du récit... pfff (je n'apporterai pas plus de précision.. bref passons !).
C'est chiant parce que Antonio Banderas est embauché ici pour faire "plante verte" par un scénariste qui ne prend pas la peine de lui donner une quelconque épaisseur... (passons aussi !)
C'est chiant parce que Jeremy Irons se livre, durant la 1ère heure, à un cabotinage à peine supportable. Heureusement, la seconde partie lui rendra grâce par des scènes, où derrière un maquillage vieillissant du plus bel effet, il redevient l'acteur talentueux qu'il sait être par ailleurs.
C'est chiant parce que le volet fantastique et surnaturel, (voyance, dialogue avec les esprits, télékinésie) que l'on découvre avec un plaisir gourmand au début du film, s'avère n'être finalement qu'une escroquerie sporadique semblable a un Mac Guffin creux au sens le plus délétère du terme.
C'est chiant, parce que pendant tout le film, je remuais sur mon canapé me demandant jusqu'au bout "Bon, c'est quand que le film commence ?"... Jusqu'au moment où j'ai compris qu'il s'agissait encore ici d'un problème récurrent d'un certain cinéma qui confond montée en puissance autour d'un arc narratif clair et exposition sur-esthétisée interminable tentant artificiellement de tenir l'intérêt du spectateur en éveil pour combler les lacunes scénaristiques...
C'est chiant parce que trop souvent les dialogues et les scènes sont tellement téléphonés, que mes amis et moi avons spontanément lancé un jeu qui consistait à anticiper scènes et dialogues et... croyez le ou non, mais nous mettions à chaque fois dans le mile !
C'est chiant parce que le scénario ne cesse de tirer le film dans tout les sens jusqu'à la nausée :
- il passera sans aucun scrupule du conte gothique classieux (les 30 premières minutes) laissant sans aucun remord derrière lui des questions non résolues sur des éléments fondateurs du récit : qui donc a empoisonné l'alcool qui tua la soeur de Clara ? etc,
- pour dévier ensuite vers le conte romantique sabrer par des ellipses vertigineuses,
- pour s'octroyer un petit crochet vers le thriller psychologique et sexuel autour du trio Meryl Streep/ Glenn Close/Jeremy Irons aussi inutile que WTF,
- pour se perdre soudainement dans un réalisme pseudo social sans âme (revendications des indiens / histoire d'amour interdite entre Blanca et Pedro),
- pour finir par se chercher du côté du conte violent de guérilla-politico-révolutionnaire...
Tout cela en 140mn !
On aura vu au final 5 films en 1 seul, 5 films survolés, aux sujets à chaque fois à peine éffleurés, 5 histoires artificiellement reliées dans l'espace temps narratif et pour le prix d'un seul film on se sera fait chier 5 fois plus. C'est économique. Mais c'est chiant.
C'est chiant parce qu'alors que le générique de fin défile je me demande encore : Quid de la "Maison", quid des "Esprits" ? Un peu comme une promesse manquée, on ne sera jamais vraiment entré dans cette "Maison aux esprits" ni dans le film.
Ai-je vraiment perdu 140mn ? Pas totalement : j'ai pu apprécier le travail des décorateurs, des costumiers, des maquilleurs et des accessoiristes qui, dans l'ombre du réalisateur oscarisé, ont sauvé avec talent le seul aspect positif de cette oeuvre : son esthétique visuelle.
Et comme je suis insensible aux sirènes de la renommée, le fait que Bille August ait récolté ça et là des prix et des lauriers ne fait rien à l'affaire et ne me console pas. Peut-être que cette déception serait compensée si le film m'avait donné l'envie de lire le livre qui apparemment est un best seller au Chili. Mais il n'a même pas réussi ça.
Je n'ai aucune envie de lire ce livre. Pire, je crois que le film voulant magnifier le roman n'en a fait ressortir que les défauts, et ce faisant, il m'a ôté toute envie de le découvrir.
Voilà donc comment, parfois, le cinéma peut nuire à la littérature... ou presque !