" Je travaille très dur à aider les gens à lever leurs inhibitions. "
"Ainsi s'exprime Nicholas Ray, cinéaste de l'introspection, du paradoxe et de l'incommunicabilité. Objet d'un culte sans réserve aux Etats-Unis, il trouve pourtant le moyen d'exprimer son rejet du mythe américain à travers des personnages qui substituent le romantisme à la violence. Le ton est donné dès son premier long métrage, Les Amants de la nuit, sorti en 1948, l'histoire de deux jeunes amants qui se perdent dans l'Amérique en crise. "
La maison dans l'ombre, est l'oeuvre pour laquelle j'ai une tendresse toute particulière puisque c'est la première à m'avoir fait découvrir l'univers d'un cinéaste qui décline l'homme confronté à sa part d'ombre, cette zone sombre que tout être possède, plus ou moins cachée, plus ou moins enfouie voire refoulée et qui se révèle un jour à la faveur des circonstances : une violence nourrie de frustrations dirigée contre les autres ou contre lui-même.
La RKO garda le film terminé dans ses tiroirs pendant deux années avant de le distribuer en 1952 seulement. Il fut amputé de 10 minutes ce qui rend peut être la fin un peu confuse voire plus hollywoodienne en tout cas que dans le scénario initial.
Adapté de l'ouvrage de Gerald Butler, "Mad with Much Heart", le réalisateur, avec ce film On Dangerous Ground, titre original, développe son thème favori du personnage blessé aidé en cela par le scénariste Albert Isaac Bezzerides qui se fera remarquer trois ans plus tard dans Kiss me deadly de Robert Aldrich, summum du film noir.
On y retrouve Robert Ryan impavide et brutal, archétype du mâle solitaire et macho, flic dévoué mais sombre et irascible, agressif et caractériel, qui sanctionné par ses supérieurs et muté en pleine montagne, est confronté à une jeune femme aveugle, Ida Lupino fragile et déterminée, dans un beau polar en noir et blanc.
Une rencontre où ces deux êtres échangent d'abord sur un mode banal révélateur pourtant de la solitude dans laquelle ils sont enfermés l'un et l'autre :
Mary Malden: Tell me, how is it to be a cop?
Jim Wilson: You get so you don't trust anybody.
Mary Malden: You're lucky. You don't have to trust anyone. I do. I have to trust everybody.
Ambiance nocturne de ville noire et mouillée qui contraste avec la luminosité éclatante de la maison isolée perdue dans la neige, laquelle contre toute attente va symboliser pour le policier pur et dur, un retour à l'humanité, le lieu où va se faire LA rencontre de sa vie, celle qu'il n'attendait pas, qu'il n'espérait plus : deux êtres aveugles, chacun à leur manière, liés par une chasse à l'homme ou plutôt à l'enfant, le jeune frère accusé de meurtre que Mary, arc-boutée dans une résistance qui ne laisse pas d'en imposer à ce faux dur, aime et protège envers et contre tous, prête à faire de son corps l'ultime rempart.
Une femme belle et mystérieuse, désespérée mais qui refuse toute pitié, et un homme vaincu par l'attirance irrésistible qu'il éprouve pour cet être délicat à l'âme invincible qui va le révéler à lui-même, faire tomber l'une après l'autre ses résistances: une façade qui se craquelle, laissant apparaître sous le vernis du flic impitoyable la sensibilité et les fêlures d'un être, ce qui fait sa vraie force.
Beaux portraits d'un homme et d'une femme dans un film moins connu certes que Johnny Guitar ou La Fureur de vivre, mais dans lequel Robert Ryan se révèle habité par son personnage tandis que Ida Lupino vibrante et retenue dans ce rôle de femme vulnérable et forte à la fois, incarne la rédemption, l'amour qui une fois encore triomphe de la violence, redonnant à l'homme toute son humanité.
" Malgré la violence et l'intensité constante, un film d'une pureté remarquable, et quand les cordes de Bernard Herrmann se font entendre, le film atteint alors une sorte de plénitude. "