Les monstres d’Universal Studio. Leur simple mention suffit à déclencher tout un imaginaire peuplé de vampires, loup-garou et autres momies. En 1945 le genre horrifique est alors en plein essor. Le public se précipite dans les salles et dans les drive-in américains à la recherche de sensations fortes et d’un exotisme merveilleux. La maison de Dracula est directement né de ce succès puisqu’il s’agit de la suite directe de La maison de Frankenstein (notez l’originalité des titres) réalisé par le même Erle C. Kenton qui avait probablement sa piscine à finir.
Or, le succès n’a pas seulement provoqué la sortie d’un second opus, il semble également avoir eu une incidence sur son histoire et sa conception. Contrairement à ce que son titre peut laisser entendre, La maison de Dracula ne met pas en scène Dracula. Enfin pas seulement. Le film de Kenton propose de faire se rencontrer Dracula, le Loup-Garou et la créature de Frankenstein au sein d’un même lieu : la clinique du professeur Edelman. Car ce bon professeur est spécialiste de problèmes que tous les autres médecins refusent de traiter : appétence insatiable pour le sang, pilosité extrême, impossibilité de s’exprimer autrement que par des grognements, vous voyez le genre quoi. Rien de plus naturel donc, pour que nos trois zigues sonnent à la porte de la clinique du professeur en espérant y trouver quelques remèdes à leurs désagréments.
Le scénario du film est donc entièrement contenu dans son concept, celui de représenter dans un même espace les trois monstres les plus populaires du moment. Pour être technique et un tout petit peu barbant, disons tout de même que ce film répond au doux nom de « transfiction ». Rendue populaire avec des œuvres récentes comme Avengers (Joss Whedon, 2012), la transfiction propose de représenter dans une même œuvre des personnages empruntés à d’autres univers fictionnels. La plus célèbre transfiction télévisuelle actuelle est probablement Once upon a time, qui fait de tous les personnages de contes de fées les habitants d’un même village. Vous l’aurez compris, la transfiction répond à une demande plutôt commerciale que franchement artistique. Nécessité commerciale et regard artistique sont-ils toutefois incompatibles ? L’envie de gros sous pour les patrons d’Universal est-elle nécessairement synonyme de plantage artistique pour La maison de Dracula ?
Si, comme nous allons le voir, le scénario est loin d’être le point fort du film, ce dernier bénéficie tout de même d’une magnifique ambiance gothico-horrifique (ou horrifico-gothique, à vous de choisir). Kenton, en bon technicien, s’efforce de recréer une atmosphère dans laquelle le réel semble se dérober peu à peu. Comme un ogre vorace jamais insatiable, Hollywood semble avoir digéré l’expressionnisme allemand pour en proposer une version légèrement moins poétique, mais toute aussi travaillée esthétiquement. Conscient des limites du budget qu’on lui a alloué, Kenton joue beaucoup sur les effets de lumière, notamment en mettant en valeur les ombres de ses personnages. Ces ombres démesurées viennent se projeter sur les décors, créant ainsi une impression de menace sourde qui plane au-dessus des personnages. Ce jeu entre l’ombre et la lumière n’est pas seulement esthétique, mais narratif puisqu’il renvoie de manière métaphorique aux concepts de bon et de méchant. Qui est le vrai monstre ? La créature de Frankenstein, simplement éprise de liberté ? Ou bien les villageois qui armés de fourche et de torches veulent sa mise à mort ?
Car oui, vous n’y échapperez pas : qui dit créature de Frankenstein dit nécessairement une foule enragée avec des torches. Difficile de voir le film sans penser à Frankenstein Junior (Mel Brooks, 1974), sa parodie MelBrooksienne. Nous en arrivons donc au véritable point noir du film : la paresse de son scénario qui ne dépasse pas son concept initial. Chaque monstre amène avec lui tous les éléments clichés qu’on lui associe : la scène de lynchage pour Frankenstein, celle de transformation en loup-garou et celle de la jeune femme qui se laisse tenter par les charmes de Dracula (on peut difficilement la blâmer : franchement, vous résisteriez, vous, à John Carradine ?). Lon Chaney Jr campe un loup-garou tout ce qu’il y a de plus crédible (façon de parler…) tandis que Boris Karloff, lessivé par tant d’interprétations de Frankenstein, laisse sa place au tout aussi grognant Glen Strange. De ces trois-là, c’est évidemment John Carradine qui tire son épingle du jeu, en campant un Dracula aux hormones sexuelles aussi acérées que ses crocs. La scène de l’envoûtement de l’infirmière constitue ainsi un des morceaux de bravoure du film, démontrant par A + B que l’horreur cinématographique prend tout son essor dans le non-dit et le hors champ. Évidemment, et pour aller dans le sens de cette scène, on ne vous en dira pas plus…Le scénario, peu convaincant, est toutefois compensé par une belle ambiance horrifique qui montre tout le savoir-faire artistique et technique d’un Hollywood alors à son apogée.
Quant au DVD/Bluray du film édité par Elephant Films, il livre une très belle copie qui rend parfaitement compte des différents jeux de lumière. Parmi les suppléments, on prend plaisir à écouter la gouaille érudite du passionnant Jean-Pierre Dionnet, qui nous en apprend plus sur la conception du film. Ce n’est donc pas vraiment un film auquel nous assistons, mais plutôt à un catalogue de monstres. Une sorte de maison hantée en cinémascope que l’on continue de visiter avec plaisir, même si l’on en connaît le moindre recoin.