J’avais vu la maison Russie à sa sortie (il y a 22 ans au moment où j’écris ces lignes) et en gardais un souvenir à la fois tendre et dilué. Une sorte de vieille tapisserie légèrement délavée mais dont les motifs évoquaient quelque chose d’agréable. Bref, un film avec du charme mais un peu chiant.

Le revoir si longtemps après m’a permis de réévaluer l’œuvre à son avantage. Comme une pincée de sel parfaitement dosée, le temps passé entre les deux projections a su relever les multiples détails qui font l’intérêt et le charme (qui opère toujours, donc) du film tout en transformant les faiblesses autrefois ressenties en source de plaisir nouveau.

Tiré d’un roman de John Le Carré, le propos est évidemment riche en complexité et éloigné de tout manichéisme à l’emporte pièce. Le côté plaisant de cette histoire d’espionnage-là est que ses deux personnages principaux… ne sont pas des espions.
Pour avoir trop bien parlé lors d’un repas très alcoolisé au sein d’une communauté d’écrivains russes (pléonasme), un éditeur anglais un poil sur le retour se voit confier quelques mois plus tard un manuscrit par un des convives de la tablée. Le passeur est une ancienne amante de l’écrivain clandestin, qui ne peut dans un premier temps, transmettre le document en main propre. Les services secrets (anglais puis américains) entrent donc dans la boucle et cherchent absolument à savoir si la source est fiable, auquel cas le document est décisif. Nous somment en pleine perestroïka, période floue et encore tendue qui rend la l’indécision des chefs de l’espionnage encore plus évidente. Ces derniers chargent l’éditeur anglais (Connery) de reprendre contact avec la "passeuse" (Pfeiffer).

Les incertitudes se situent à presque tous les niveaux puisque ces mêmes pontes (que du bon : Roy Scheider, James Fox, John Mahoney…) ne savent pas jusqu’au faire confiance à Barley (l’éditeur) car avant tout, ils ne comprennent pas ce qui peut tant plaire à ce dernier dans cet étrange pays qu’est la Russie encore soviétique. Cette incapacité à imaginer qu’on peut aimer un pays pour sa culture, ses paysages et ses habitants, quelque soit le contexte politique, est déjà en soi une petite source de bonheur.
L’impossibilité des responsables de prendre une décision, la complexité de leurs motivations, les luttes d’influence (entre pays mais aussi entre égos) marque le film d’une emprunte singulière, et renforce l’idée que devant de tels enjeux, les hommes et les femmes au cœur de la tourmente, sujets du drame intime central (qu’attend l’écrivain qui risque sa vie de son éditeur ? Comment l’un et l’autre parviennent-t-ils à mutuellement se jauger, à travers leurs multiples masques sociaux ? La détermination de Katya mérite-t-elle de mettre en danger sa famille ?) ne sont encore et toujours que des pions qui devront finalement faire comme si aucune influence extérieure n’était intervenue : en débrouillant seuls, jusqu’au bout.

Enfin, l’esprit du film, qui met en scène des personnages qui se définissent par leur actes plus que par leur nationalité, transpire dans ces nombreux plans présentant la Russie sous un jour terriblement photogénique. Bien plus que de simples cartes postales, ces invitations au voyage relativement atypique à la fin des années 80, souligne cette impression que les vanités politiques ne sont que peu de chose face à l’inexorabilité du temps et rendent les gesticulations de ceux qui se pensent importants encore plus vides de sens.

Bien entendu, il s’agit ici du haut fait de la carrière d’un bien terme réalisateur nommé Fred Schepisi (à moins que vous me convainquiez qu’un cri dans la nuit est un chef d’œuvre) qui se permet tout de même une ou deux fantaisies comme ce retour sur image (sorte de flash-back introductif) après cinq minutes de film. Même si elle n’est pas mon boc de vodka, la petite Michelle, dont le physique fragile amène beaucoup de crédibilité à son rôle, est mimi tout plein et Sean est pour une des dernières fois de sa carrière digne de sa légende et plus que crédible en vieil anglais alcolo.

Na Zdorovie !
guyness

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