Alors que l'extraordinaire roman de John Fowles, "La Maitresse du Lieutenant Français" a longtemps été jugé in-filmable, du fait de sa complexité labyrinthique mais aussi de l'étonnante mise en abyme opérée sur son drame romantique, Harold Pinter (au scénario) et Karel Reisz (à la mise en scène) réussissent à nous prouver que le cinéma peut créer une œuvre toute aussi forte à condition d'emprunter d'autres voies, plus spécifiques à ce media : cette adaptation est un triomphe de sensibilité et d'intelligence grâce au travail de simplification opéré sur la description entomologique de l'Angleterre victorienne, et grâce à la simple mais brillante idée de remplacer les commentaires de l'auteur par des (fausses) scènes du tournage lui-même, remettant les personnages via les acteurs qui les interprètent en situation "romantique", cette fois engluée dans les conventions et rituels d'aujourd'hui. La confusion continuelle entre réalité et fiction fournit au spectateur le recul nécessaire pour saisir les jeux psychologiques auxquels se livre la "Maîtresse du Lieutenant Français". Mais avouons que toute cette ingénieuse construction ne serait rien sans l'interprétation de Meryl Streep, incarnant de toute son âme (et de toute sa séduction) cet extraordinaire personnage, à la fois victime du puritanisme victorien et finalement manipulatrice suprême, construisant le chemin qui la mènera à son émancipation sur les conventions même qui l'oppriment. [Critique écrite en 1982 et 2005]