Trois personnages au bord du gouffre, chacun à sa manière. Issus de milieux écartelés, pris dans des trajectoires singulières, ils vont cependant se retrouver tous trois dans le même appartement parisien, aussi vaste que sombre, en une sorte de huis-clos auquel même l'extérieur ne permet pas d'échapper, puisque les rues du nord de Paris créent un maillage serré au sein duquel les créatures sont prises comme dans une nasse.
Propriétaire du grand appartement, Monsieur Kieffer, courageusement interprété par Philippe Laudenbach - que l'on est heureux de retrouver bien d'aplomb sur ses deux pieds dans "Gaz de France" -, requiert des soins attentifs, puisqu'il se voit cloué dans son lit, presque totalement paralysé des jambes. Il dépend donc intégralement de Lin Aiyu, jeune chinoise clandestine qu'il loge et abrite en échange des soins qu'elle lui prodigue, et qui dépend ainsi non moins absolument de lui.
Survient un personnage inattendu, aux abois : le voisin d'en face, venu se réfugier par la force dans ce lieu, depuis lequel il peut surveiller son propre appartement et les malfrats qui ont entrepris de le fouiller puis de le vider, en guise de premier remboursement d'une dette dont on ne connaîtra jamais l'origine.
Comment chacun parviendra-t-il à progresser vers le but qu'il s'est fixé, but absolument propre et parfois incompatible avec celui de ses compagnons d'enfermement ? Survivre le plus paisiblement et agréablement possible, en ce qui concerne Monsieur Kieffer ; obtenir des papiers et un autre métier que celui de prostituée, pour Lin Aiyu ; s'acquitter de sa dette et renouer avec une vie libre, pour le jeune homme traqué. Jetée au milieu de ce jeu, comme un chien fou, une jeune ado, fille de Lin Aiyu, risque fort de brouiller les cartes en cherchant à chaparder sa part de jouissance...
Grâce à l'interprétation sensible des acteurs, par les éclairages, une maîtrise subtile de l'alternance entre les teintes ternes de l'appartement, les couleurs chaudes des mondes nocturnes et les coloris froids du petit matin, Naël Marandin parvient à créer un univers signifiant, polarisé, dans un monde qui pourrait paraître avoir perdu le nord. C'est cette préservation d'une cartographie mentale qui permettra à sa marcheuse de ne pas se perdre totalement dans sa quête.