Le monde semble se diviser en deux catégories, qui n'impliquent ni hommes qui ont un flingue ni hommes qui creusent, mais bel et bien ceux qui ont plutôt fortement apprécié ce court-métrage documentaire (notamment le jury de la 49ème édition des Césars), et ceux qui semblent beaucoup plus mitigés voir déçus, que je retrouve dans les avis sur cette fiche Senscritique à l’heure où j’écris ces lignes (14 mars 21h43 pour la postérité). Je note également, pour moi aussi me la jouer commentateur du web 2.0 avoir lu le commentaire d’un internaute qui qualifiait justement ce public sur la réserve comme étant les “incels” dont il est question dans ce fameux docu.
Et je comprend que ces pourtant rapides comme l’éclair 38 minutes de vidéo soient ressenties comme dermatologiquement clivantes (dédicace à un ami qui aime quand je met des mots de con dans mes avis) vu le sujet pour le moins épineux (et dense) qui y est abordé : le phénomène des incels, et la culture qui en a émergé sur internet. Le produit qui nous est servi au final comporte du bon et du mauvais, comme toute oeuvre d’ailleurs (hormis certaines pépitasses telles que Hypnospace Outlaw, qui m’a serré la gorge et m’a presque fait remonter les larmes rien qu’en me revenant en tête lors de la recherche de ce docu), je pense donc sans prétention avoir mis le doigt (ou peut être ici l’oeil) sur ce qui a participé à la création de ces deux camps chez les spectateurs… C’est donc parti pour la mécanique des fluides de la mécanique des fluides ?...
Je commence par le positif (le mec écris quand même deux paragraphes pour introduire un avis qui va résumer à “points positifs points négatifs”, on voit que c’est le soir et que je m’ennuie [alors que je devrais juste me lancer une petite session de OlliOlli pour avoir mon shot de dopamine]). La partie visuelle du documentaire est réussie, je comprends qu’il ait été primé aux Césars aux côtés de complexes films de cinéma. J’apprécie l’idée d’illustrer l’intégralité de l’enquête avec des visuels d’internet, qui paraîtront sûrement inhabituels et inconfortables aux non-initiés (à l’image de cette vue satellite extrudée de Google Maps au début, avec la caméra qui passe un peu sous les textures du sol). Les simulations 3D type Blender sont tout aussi réussies, les parallèles image-son sont souvent très malins, c’est agréable que les vidéos utilisées soient systématiquement sourcées (j’entend par là avec le titre ou la chaîne visible). Il y a même un étonnamment joli montage à partir du film Joker qui est presque parvenu à me convaincre pendant quelques secondes que Joaquin Phoenix savait jouer ! Hérésie ! Le deuxième point très intéressant étant évidemment son sujet, éminemment moderne et pertinent quand je vois les paroles que certains de mes proches tiennent au quotidien (oui mes amis me font parfois flipper). Je vais revenir sur le traitement qui lui est réservé, car pour moi c’est là où ça coince, mais je note quand même que j’ai trouvé la conclusion convaincante.
Maintenant je me penche sur ce qui a probablement frustré les gens, moi y compris (je suis un gens). La réalisatrice a choisi de construire son projet comme une sorte de lettre ouverte à l’incel qui semble avoir été à l’origine de sa curiosité, expliquant qu’elle n’est pas parvenue à le contacter et qu’elle espère que ces images auront une influence autour de ce phénomène du célibat involontaire. Je me permet de douter sur cette prétendue impossibilité de contact, quand on voit que Maxime Biaggi et Grimkujow ont réussi à retrouver Chatdinosaure pour un simple épisode de Zen, mais soit. Le fait est que j’ai trouvé le traitement du sujet un peu léger, et qu’à la fin de mon visionnage j’avais du mal à mettre le doigt sur le public qui était véritablement visé par le projet… Les propos tenus sur le couple ou la solitude ne sont à aucun moment renversants (l’isolement et la solitude sont des notions très épaisses, et je ne suis absolument pas convaincu par la définition poétique évoquée ici), ceux sur la misère sexuelle et ce phénomène internet non plus… Je sais que c’est un court-métrage et pas un dossier de thèse complet (j’ai entendu après-coup que c’était en fait effectivement un projet de thèse, si ce dossier existe je vais peut être tenter d’y jeter un œil ?), mais quand même tout ce qui est offert ici manque pas mal de profondeur !
Que ce soit le fait d’extraire la majorité des informations de sources assez bancales, du style afficher un article Vanity Fair, ou bien une ou deux phrases de vidéo Youtube hors-contexte, le travail de sélection et de traitement de l’information laisse un peu à désirer… Décrire des phénomènes, surtout avec des descriptions parfois vagues et légères ne suffit pas. Du style énoncer que les algorithmes des réseaux sociaux enferment les gens dans des communautés, des schémas de pensées et des boucles toxiques c’est bien, mais ce qui est encore mieux c’est de détailler comment, via quelles mécaniques, pourquoi, à quels organismes et quels types de projets ça bénéficie, etc… Ce n’est sûrement pas le but qui était visé ici, l’artiste ne cherchait pas à accoucher d’une documentation technique de Tinder, avec analyse éthique et sociologique précise du fonctionnement de l’application, mais c’est plutôt ça que j’aurai voulu me mettre sous la dent quitte à regarder une vidéo d’analyse autour de cet indéniable pattern de la société contemporaine. C’est aussi mon goût personnel mais je trouve qu’un documentaire pareil, sur un sujet qui touche autant au social, aurait mérité plus de témoignages directs (car non la vidéo d’un incel qui rage seul dans sa chambre n’est pas un témoignage direct). Je trouve que ça manque dans les œuvres récentes une vision à la Chris Marker, qui va rencontrer les gens, directement donner la parole aux groupes enquêtés dans son film plutôt qu’un répertoriage “brut” de contenu comme ici. J’aurai adoré que les incels soient profondément questionnés, qu’on leur donne un peu plus la parole… C’est tout bête mais même quand la réal énonce sans pression que Tinder a “détruit son désir encore et encore”, j'aurais adoré en savoir plus son expérience : comment, pourquoi…
Le film s’adresse donc probablement au grand public, avec la volonté de leur introduire cette tendance, ce groupe de gens qui souffrent de ne pas pouvoir justement s’introduire où que ce soit, en leur offrant une forme plastique artistique et réussie. La faiblesse de ce genre de démarche pour moi c’est qu’elle reste pas mal en surface, manque d’informations concrètes et détaillées, il y avait tellement plus de choses à dire et à faire sur tout ça, pour réellement documenter et instruire intelligemment les gens là-dessus… Je ne saurais pas dire entre le déjà timide The Lobster et ce film lequel est le plus riche sur le thème de la pression et de l’image du couple dans notre société. C’est comme ça que j’explique chez les gens des réactions aussi épidermiques (c’est ce mot que je cherchais en écrivant dermatologiquement plus haut ! Tant pis je le laisse) que de parler d’un “enfonçage de portes ouvertes” ou d’un “truc niais et déconnecté”. Je serais personnellement moins radical qu’eux sur le sujet (je ne voudrais pas finir dans le prochain reportage sur les incels français), et je dirais simplement que La mécanique des fluides est une œuvre visuellement convaincante, au sujet qui encourage à la réflexion mais à la profondeur informationnelle assez légère.
Je termine cyniquement en encourageant tous ceux qui ragent sur ce projet à faire eux aussi une proposition d’étude sur les documentaires où le réalisateur parle sur un flux d’images lancinantes, avec une voix monocorde et une musique dissonante en bruit de fond. Faites-le, mais comme dirait un grand concepteur de beat them all du 21ème siècle, “faites mieux”.